Ce texte va spoiler sans retenue, (y compris d'autres films de Damien Chazelle).
Autant évacué ça d'emblée... Tout est formidable dans Babylon ! La musique, les acteurs, le montage, la photo, les décors... C'est un film drôle, impressionnant, jubilatoire, poignant...
Mais ici, je ne vais m'attarder que sur un seul point. Un point qui n'est pas lié uniquement à ce film, mais plus largement à la filmographie de Damien Chazelle.
J'ai envie de partager ce que je perçois du propos général de son œuvre.
A travers ses films, Damien Chazelle semble dépeindre la part négative de l'aboutissement de rêves ou de projets.
Je ne vais pas cité son premier film, Guy and Madeline on a Park Bench, car il n'est plus très frais dans ma mémoire. Mais je vais revenir sur ses quatre suivant.
Dans Whiplash, le personnage d'Andrew finit par devenir un batteur phénoménal. Mais à quel prix ? Il a ruiné sa dernière relation amoureuse, et s'est considérablement éloigné de son cercle familial. Il n'y a qu'à voir, dans la dernière scène, le plan sur le visage du père d'Andrew, quand il observe ce dernier en transe effectuant une prouesse musicale exceptionnelle. Dans les yeux du père, on ne lit pas de la fierté à ce moment-là, mais de l'effroi. Il ne reconnaît plus son fils.
Vient alors La La Land, avec un propos encore plus limpide. Mia et Sébastien doivent faire un choix entre la poursuite de leur relation ou l'accomplissement de leurs rêves professionnels et artistiques. Ils se dirigeront alors vers leurs rêves... Mais non sans une intense mélancolie, que la scène finale mettra sublimement en scène.
Ensuite, dans First Man, le sujet n'est plus l'accomplissement dans l'art, mais l'aboutissement d'un projet d'une ambition folle qui changerait le cours de l'Histoire. Donc évidemment : se poser sur la lune (et en revenir vivant). Mais en définitive, qu'est-ce qui a poussé le personnage de Neil Armstrong à se dévouer pleinement à cet objectif ? S'il est tant focaliser sur ce travail, c'est en réalité pour fuir la perte de sa fille. Ce projet colossal lui sert en fait de distraction accaparant tout son temps, pour lui éviter de ressasser le drame qu'il a vécu. Dans ce film, la part sombre lié au projet du protagoniste, c'est ce qui en est à l'initiative. Mais niveau noirceur, la mise en œuvre n'est pas en reste, avec notamment les morts tragiques de plusieurs collègues de Neil Armstrong.
Et enfin, Babylon. Pour la première fois, Damien Chazelle parle de l'après-rêve. On n'est plus dans le sacrifice, comme le dépeignaient Whiplash et La La Land, ou le besoin de fuite, dans le cas de First Man. Une autre question est posée. Que reste-t-il lorsque l'on a effectivement réalisé ses rêves, mais qu'il ne peuvent plus se poursuivre car de nouveaux événements changent la donne ? Que peut-on faire après ça ?... Se tirer une balle dans la tête. Sortir de la lumière des projecteurs en se dirigeant vers l'obscurité, et se laisser aller vers un destin qu'on ne contrôlera plus. Ou s'extirper de son passé en reconstruisant différemment sa vie, pour ensuite, des années plus tard, n'y replonger que momentanément, quand l'occasion se présentera.
On ne va pas se le cacher, la troisième option semble préférable. D'autant qu'elle peut nous permettre de réaliser que, même si la période rêvée de notre vie est terminée, tout ce que l'on a accompli, réalisé, donné, apporté au monde ou à notre entourage, peut encore avoir une résonnance. On aura activement vécu, et donc "participé à quelque chose qui nous dépasse".
Pas si négative finalement la notion d'après-rêve, si on regarde au-delà de notre accomplissement personnel.
Non mais quelle puissance ce final de Babylon...