Il est clair que Damien Chazelle soit un réalisateur ô combien prodigieux. Et pour cause, à même pas 40 ans, le bonhomme a déjà su livrer trois chefs-d’œuvre qui ont marqué les esprits. À commencer par Whiplash, drame musical d’une intensité folle. Puis vient évidemment l’acclamé La La Land, un fantasme éveillé qui parle de sacrifice et de rêves avec une maturité et une maîtrise exceptionnelles. Et enfin First Man, un biopic certes passé un peu inaperçu mais qui ne démérite pas du tout par son parti pris de sortir de toute convention, afin de toucher en plein cœur via une histoire diablement humaine. Dire que nous attendions Babylon avec une impatience folle relevait de l’euphémisme ! D’autant plus que le projet annonçait une œuvre prestigieuse, à l’ambition et la démesure folle. Limite une œuvre charnière dans le cinéma de son géniteur. Et c’est pour cela, qu’à titre personnel, le quatrième long-métrage de Chazelle s’est révélé être une déception de taille. Non pas que l’ensemble soit mauvais, bien au contraire ! Juste que, pour moi, Babylon témoigne des premières faiblesses du bonhomme, qui semble avoir eu les yeux plus gros que le ventre.
À l’instar de La La Land, le cinéaste a voulu livrer une œuvre qui rende hommage au vieil Hollywood. Mais plutôt que de passer par la case comédie musicale, il a préféré assurer ses arrières en prenant une période historique déjà traitée maintes fois par d’autres films (Chantons sous la pluie, The Artist…) qu’est le passage du cinéma muet au parlant. Partant de ce postulat, Babylon reprend le même genre d’intrigues et de personnages que ses aînés, à savoir la déchéance d’acteurs qui ne peuvent s’adapter à un tout autre format cinématographique. Ici, nous parlons d’une actrice montante, d’une star planétaire et d’un homme à tout faire devenu agent. Trois personnalités différentes qui connaissent la gloire jusqu’à ce que l’évolution artistique se fasse et les condamne à une inévitable déchéance. Vous l’aurez compris, sur le plan scénaristique, Babylon ne se foule pas vraiment en allant sur le terrain déjà-vu. Mais là où le film se démarque de ses prédécesseurs, c’est bien par sa vision hollywoodienne qu’offre Chazelle à son public.
Car étant bien loin de vendre un milieu qui envoie du rêve, le réalisateur a décidé de raconter cet Hollywood sous le prisme de la décadence pure et dure. Dès lors, nous comprenons très vite la signification du titre. Qui reprend la chute de l’empire babylonien, après avoir longtemps vécu dans la prospérité et la décrépitude chronique. Ici, faire partie de la grande famille qu’est le cinéma, ce n’est pas un fantasme. Mais un véritable bordel sans queue ni tête. Une orgie sans fin où tous les excès sont permis (alcool, sexe, drogue). En adoptant ce parti pris, il faut ainsi voir Babylon comme une fête démesurée qui démarre aussitôt et qui a bien décidé de plus jamais s’arrêter. Dès les premières minutes, le film adopte un rythme effréné pour ne plus le lâcher. Enchaînant pour le coup des petites scénettes énergiques au possible, qui transpirent la folie et l’exubérance avec une générosité sans pareil. Que ce soit pour épouser l’exceptionnelle musique de Justin Hurtwitz, pour suivre d’excellents comédiens en plein délire (Margot Robbie, Brad Pitt et Diego Calva en tête) ou même pour se moquer de Hollywood derrière son aspect hommage, Babylon et sa mise en scène nous livrent des instants riches en émotions. Certains feront hurler de rire – comme le tournage du film muet en studio – alors que d’autres toucheront à notre corde sensible de spectateur. Il faut juste, par moment, accepter le fait d’avoir une œuvre qui ne semble avoir aucune limite dans ses excès, comme peut en témoigner l’humour caca prout – un éléphant chiant abondamment sur un homme, un autre jouissant sous l’effet d’une « golden shower », l’héroïne vomissant à n’en plus finir sur des bourgeois façon Sans filtre…
Malheureusement, ce rythme, Babylon n’arrive pas à le tenir pendant ses 3 heures de visionnage. Car une fois que nos personnages sont rattrapés par la réalité de la situation, le long-métrage commence à se poser progressivement. Tout comme La La Land, l’ensemble s’offre une seconde partie qui s’éloigne de sa vision fantasmée (?) pour livrer quelque chose de plus sérieux et terre-à-terre… et beaucoup plus calme. La folie – et donc l’émotion – laisse ainsi la place à un hommage qui devient plus lourd et tape-à-l’oeil à encaisser. Il suffit de voir le montage final, mashup d’extraits cinématographiques digne de la petite vidéo de présentation de l’attraction Armageddon à Disneyland – vous aurez droit à un extrait de Jurassic Park et d’Avatar dans Babylon, c’est pour dire ! Et pour revenir au classicisme du scénario, à s’être aventuré sur des terrains connus, le film ne s’est pas trop comment se terminer. De ce fait, il étire artificiellement ses intrigues par des histoires sorties de nulle part – cette trame mafieuse avec pourtant un Tobey Maguire fabuleux – et en s’arrêtant sur des séquences qui pourraient gagner en efficacité si elles avaient duré moitié moins. À contrario d’une première partie aussi dingue que ses protagonistes et ses situations, la seconde perd irrémédiablement de son charme et de sa générosité. Et gagne ainsi en ennui et en surdose.
Donc oui, déçu par Babylon. Déçu d’avoir eu droit à ce que je considère comme un film boulimique et non un nouveau chef-d’œuvre à mettre sur le compte de Damien Chazelle. Un long-métrage qui n’aura pas su provoquer en moi l’excitation et l’émerveillement de ses titres précédents. Et qui, pire, témoigne d’un jeune réalisateur talentueux qui serait déjà presque arrivé en bout de course. Ne sachant plus comment raconter ses ambitions et thématiques. Car, qu’il l’ait voulu ou non, Babylon se présente à nous telle l’œuvre maîtresse de Chazelle. Celle qui réunit tout son cinéma et fait se demander « Que pourrait bien faire le bonhomme après ça ? ». Et c’est malheureusement sur ce film que le cinéaste s’est, à mon sens, loupé.