Feu d'artifice d'excès et de décadence, Babylon est une démonstration de puissance inouïe où le cinéma parle de lui-même. Dans cette course effrénée vers la gloire, le nouveau film de Damien Chazelle côtoie souvent de près l'excellence sans pour autant la saisir à bras le corps. Énergique et bruyant, le réalisateur de La La Land déclare son amour pour le septième art dans une fresque démente qui dépeint les petites histoires dans la grande. Un film éminemment puissant où le chaos côtoie constamment le sublime dans une célébration démesurée qui en perd parfois son souffle.
Faire un film de cinéma sur le cinéma n’a jamais été chose facile tant l’ampleur du défi relève d’une tâche difficile qui confronte un artiste à son propre art. Si un grand nombre de réalisateurs se sont attelés à la tâche, nombreux sont ceux qui ont échoué. Pourtant, dans cette aventure périlleuse qui place le septième art au cœur de son propre questionnement, le réalisateur Damien Chazelle, fils prodige d’Hollywood, revient sur les devants de la scène avec une œuvre aussi intense que saisissante. Après le rigoureux Wiplash et le touchant La La Land, le cinéaste américano-français aux multiples Oscars est de retour avec Babylon. Porté à l’écran par le grand Brad Pitt, la flamboyante Margot Robbie et le jeune Diego Calva, le long-métrage dépeint l’époque charnière d’un Hollywood en pleine transition du muet au parlant. De l’ascension vers la gloire jusqu’à ses sommets les plus décadents, en passant par la chute d’un empire et ses plus grands héros, Babylon s’attelle à filmer un rêve éveillé, prisonnier d’un cauchemar fantasque.
Si le film a bien assimilé une chose essentielle, qui fait de lui un métrage accompli, c’est sa manière de dépeindre un âge d’or quand il est au plus haut, pour en filmer sa chute qui entraîne avec lui un véritable monde qui s’écroule. En racontant l’envers du décor des studios hollywoodiens des années 20, le film parle d’une industrie depuis son épicentre, mettant en scène un cinéma encore considéré comme un art primaire à côté de la noblesse des grandes pièces de théâtre. Ainsi, quand la parole trouve sa place dans les salles obscures, c’est toute une industrie qui voit ses cartes rabattues au profit d’une nouvelle ère. Des acteurs aux méthodes de tournage, le cinéma se voit entièrement bousculé et doit se réinventer pour continuer d’exister.
UN JOYEUX VACARME
De ce point de départ, Damien Chazelle pose ses caméras auprès de personnages hauts en couleurs que l’on se plaît à suivre dans leur ascension à la fois personnelle et artistique. Aux côtés de Nellie, Jack et Manuel, on assiste à un joyeux vacarme où le désordre et la pagaille règnent en maître, au plus grand plaisir du spectateur qui jouit de cette débauche quasi circassienne. On jubile devant l’excès, on s’exalte face au spectacle débordant qui nous est donné de voir. Babylon est un fantasme délusionnel ; une fête constante qui nous embarque jusque dans ses propres turpitudes. Sorte de Gatsby le Magnifique bruyant où l’alcool et la drogue ruissellent sur la pellicule. De son apogée à ses méandres, il est un constant hommage au cinéma où la cinéphilie embrasse passionnément les illusions perdues.
UNE FLAMBOYANTE VIRTUOSITÉ
Parmi les fulgurances qui planent tout au long de Babylon, le métrage doit beaucoup de sa prestance plastique et visuelle à sa mise en scène. En appréhendant les forces de son récit, Damien Chazelle nous propose une lecture survoltée, presque excessive, de son histoire. Grâce à une réalisation au cordeau, alliant plans virtuoses et montage dynamique, la mise en scène s’enclave dans la grammaire cinématographique et vient souligner le propos de l’œuvre, se voulant être la suite d’images d’une technicité de maître où l’insolence graphique semble répondre à celle de sa diégèse. Il est alors difficile de rester insensible à Babylon quand tout est savamment pensé pour séduire le spectateur et maintenir son intérêt de manière quasi algorithmique. De l’inlassable musique incessante au fourmillement permanent de l’image qui marque la rétine, tout est mis en place pour capter notre attention.
Pourtant, quand les festivités prennent fin, le doute s’installe et la mise en scène autrefois grandiose vacille. À force d’acharnement stylistique, ce qui était grandiose durant la première moitié du film, perd de son intensité cinématographique. Au lendemain de la débauche, le mal de crâne monte et le souffle se coupe. Le temps s’étire, la descente aux enfers se fait ressentir et les longueurs qui les accompagnent aussi. La rupture est ainsi douloureuse et le film souffre alors d’un disgracieux ventre mou qui entache la grandeur de Babylon.
Derrière une ébauche de moyens et une maîtrise étourdissante de la mise en scène qui laisse pantois, Babylon s’avère être une œuvre aussi bruyante que puissante. C’est excessif, c’est boursouflé, c’est parfois long, mais ça n’en reste pas moins une démonstration de cinéma singulière qui marquera les esprits. Damien Chazelle signe une œuvre fiévreuse et endiablée sur un milieu qui ne peut s’épanouir autrement que dans le chaos.