Ce film ambitieux raconte, aux débuts d'Hollywood dans les années 26 à 32, l'épopée du passage du cinéma muet vers le cinéma parlant, et met en évidence les grandes transformations que cela va engendrer, tant sur le plan de la technique du son que l'impact inévitable sur les acteurs qui perdent leurs repères..., et pour certains ne s'en remettront pas...
On aimera ce film à condition d'accepter les extravagances de l'époque (sexe, drogue et autres dépravations décadentes...), abondamment filmées par le réalisateur Damien Chazelle, qui nous propose dans son film une véritable orgie de cinéma de plus de 3 heures, ne laissant aucun répit au spectateur..., avec notamment ses mouvements accélérés de caméra d'un personnage à l'autre...
- Les changements techniques : l'introduction du son
Damien Chazelle nous offre tout d'abord la superbe reconstitution en plein air d'une journée de tournage du film muet en 1926 avec plusieurs films/scènes tournés en parallèle : dans un bistrot, sur un champ de bataille avec des centaines de figurants et une déclaration d'amour au soleil couchant, la principale préoccupation étant alors d'avoir la bonne caméra...
Et lors de la première apparition du son en 1927, le réalisateur montre en comparaison les innombrables problèmes que pose l'arrivée du son; en une dizaine de prises répétées nous constatons l'importance du silence absolu dans le studio, le bon positionnement du micro et la caméra bruyante enfermée dans une casemate surchauffée...
Ces scènes sont parfaitement filmées et ne manquent pas d'effets comiques et dramatiques...
- L'impact sur les acteurs, opportunités et déclins...
Jugée par beaucoup comme une avancée spectaculaire, l'introduction du son ne va pas manquer de perturber nombre d'acteurs tout en créant aussi beaucoup d'opportunités. Et d'ailleurs les studios (MGM, Kinoscope...) vont se livrer une guerre sans merci pour se développer dans ce contexte et détecter les bons acteurs qui sauront s'adapter...
Le parfait exemple du déclin est le personnage de Jack Conrad (homme à femmes joué par Brad Pitt, qui je trouve ne force pas son talent dans ce film...), une star du cinéma muet chez Kinoscope; Jack attend cette révolution avec impatience, mais dès lors qu'elle arrive il ne parviendra pas à s'y adapter, les spectateurs riant en entendant son phrasé... Dès lors, il ne pourra jouer que des films médiocres avec MGM et sa descente aux enfers sera inéluctable. La critique Elinor St. John (Jean Smart), par ailleurs sa manager, tente de lui expliquer que sa carrière est finie, mais qu'il ne manquera de passer à la postérité pour sa carrière dans le muet...
Un autre personnage fascinant du film est Lady Fay Zhu (Li Jun Li, excellente), une danseuse de cabaret sulfureuse et lesbienne, s'occupant des intertitres; mise sur la touche, Fay Zhu partira pour une reconversion en Europe...
Cependant le vrai intérêt romanesque et dramatique du film est porté par le couple Nellie LaRoy (jouée par une Margot Robbie qui crève l'écran de bout en bout avec ses fresques et addictions mais ne manque pas d'une certaine tendresse qui émeut...) et Manny Torres (joué par un excellent Diego Calva), et qui vont connaître des destins croisés tout au long du film, soulignés par la belle musique Manny and Nellie's theme : https://www.youtube.com/watch?v=eL1sn-Sqew8 (on se rappellera que le film a obtenu le Golden Globe 2023 de la meilleure musique de film).
Se rencontrant dès la fête inaugurale et orgiaque du film, Nellie (qui n'a encore jamais rien tourné) et Manny (immigré d'origine mexicaine et homme à tout faire de Kinoscope ), tous les deux sous l'empire de la cocaïne, se promettent de faire du cinéma pour vivre "quelque chose de plus grand" ! Manny tombe très vite amoureux de Nellie, et ils promettent de se revoir...
Manny, poussé par Jack, et capable de trouver une caméra dans un moment critique, arrivera par son génie et ses astuces, à trouver sa place dans le cinéma muet puis dans le monde du cinéma parlant, en devenant Directeur de studio...
Repérée pour ses qualités de danseuse, Nellie saisit par hasard sa chance de faire du cinéma muet et devient rapidement une vraie star, notamment par sa capacité à exprimer des sentiments variés et à pleurer sur commande (rien qu'en pensant à son enfance malheureuse...).
Mais son passage dans l'ère du cinéma parlant va s'évérer très compliqué de par ses addictions (sexe, drogue, jeu), sa voix qui passe mal et son inculture dans une Amérique devenue très puritaine vers 1930... Appelé à la rescousse par la Kinoscope, Manny va essayer de remettre Nellie sur les bons rails, mais aura bien du mal à la faire sortir de la spirale infernale de ses addictions... Présentée à la haute société d'Hollywood, elle ruine ses chances en insultant les convives et en vomissant sur l'un d'entre eux...
Elle va même jusqu'à contracter une importante dette de jeu auprès d'un gangster du coin; Manny va encore une fois voler à son secours pour trouver l'argent mais les différentes péripéties qui suivront vont les entraîner à devoir fuir la région... Manny, déclarant son amour à Nellie, lui demande de s'enfuir avec lui au Mexique et ainsi refaire leur vie, mais y arriveront-ils ?
La fin du film est très allégorique et montre en hyper synthèse les grandes évolutions du cinéma, de cette époque jusqu'à nos jours, grâce aux nombreuses ruptures technologiques qui vont s'enchaîner...
Globalement un grand et beau film mais trop long, avec des passages qui auraient pu être plus courts (notamment la fête orgiaque introductive) et certains inutiles : la scène avec le serpent, les tréfonds de la demeure du gangster James McKay (joué par un Tobey Maguire excellent et très inquiétant dans son rôle...) montrant les excès les plus malsains et les menant au monstre voulant être acteur...
Ce film devrait rester cependant comme un incontournable de l'histoire d'Hollywood, lors des débuts du cinéma parlant...