Très cher Damien,


Le monde a été témoin de votre succès sur la planète Hollywood, malgré le four First Man, vous vous êtes fait votre place distinguée dans ce monde pour lequel vous montrez tant d’amour. Quel étonnement cela nous a fait alors de découvrir que votre nouveau chef d’œuvre imminent allait être le tableau de la succession de tous les excès et de la mise à mort de l’industrie du cinema américain dans toute sa splendeur, tout en hurlant du même trait votre amour pour le 7ème art. Si seulement cher monsieur, si seulement il s’agissait véritablement de cela dans votre film...


Dans le Hollywood des années 30, du passage du muet au parlant, se tiennent nos quatre protagonistes, un acteur déjà établi dans le milieu, un homme de main qui cherche à s’y faire une place, un trompettiste noir, et une folle qui rêve d’actorat et d’exalter sa vie comme star sous les paillettes de la gloire. Voilà un joli prétexte narratif pour digresser le déroulé d’un long et laborieux essai sur le cinéma, son histoire, son fonctionnement, et sa place dans nos vies; et bien qu’érudit, cher Damien, vous n’aidez pas à nous faire aller dans le sens de votre geste tant vous peinez à tenir une unité et une progression cohérente.


Un programme chargé donc, qui peine à garder son regard fixement tant le film aime se perdre dans autant de pistes possibles: allant du snobisme des studios, au racisme dans l’industrie, en passant par la fabrication même d’un film; le film ne sait plus où donner de la tête. Doucement cher réalisateur, car oui c’est bien d’avoir des choses à dire mais comment ? Voyez Tarantino qui agite sa nostalgie pour dresser le tableau d’un vagabondage idyllique en coeur de Los Angeles. Voyez votre La La Land, hommage décomplexé et personnel à un classicisme hollywoodien auquel on sent qu’il vous tiens à coeur. Ici, où est le peu d’amour qu’il peut encore vous restez pour vos pauvres personnages; réduit au rang de pions que vous agitez pour argumenter votre dissertation.


Damien, vous êtes un académicien, c’est bien de vouloir vous inscrire dans la tradition, plaire à vos paires, citer vos plus estimés maîtres en même temps que vous vous citez vous même. Alors on appréciera les références mais qu’en est-il du traitement de ces dernières, de leurs apports à l’esthétique du film. Voilà que tout cela parait bien cousu de fils blancs pour faire briller votre image auprès du public à oscars en leurs faisant cracher ce petit sourire malin, « J’ai la ref, je suis cinéphile, moi aussi » ce diront t’ils. Laissez moi croire que le peuple mérite mieux que cette niaiserie.


Mais ne vous en faites pas très cher ami, ça encore passons dessus comme n’étant qu’anecdotique, mais alors n’allez pas jouer aux petits mômes dissidents vulgaires et subversifs. Cette crotte d’éléphant à votre première scène, pour quoi faire sinon attiser le petit ricanement d’un bourgeois du troisième âge se sentant un peu secoué dans son fauteuil (comme ça lui est si rare au cinéma). Pas à nous Damien, vous valez mieux (enfin c’est ce que l’on ose espérer). Entre deux paires de fesses mal filmées, ou quatre vomis alcooliques sortis tout droit d’un geyser d’Islande, qu’espérez-vous nous faire paraître si ce n’est la déréliction de voir que votre cinéma a sombré dans la faute de goût crasse et grasse, à rechercher le moindre effet facile pour plaire à la première équipe de faquins venue.


Alors oui c’est musical (monseigneur ne se priverait pas de ses premières lubies quand même), mais ça ne veut pas dire pour autant que c’est rythmé. Ce n’est pas en mettant une batterie énergique de jazz en fond de tous les plans que cela en fait un rythme tenu. Comme étude de cas, prenons la meilleure scène de votre film, celle qui me fait regretter d’être finalement tant acerbe à l’égard de ce pauvre film; celle où Brad Pitt et Margot Robbie, chacun de leur côté, sont en plein tournage de leur film respectif. Un montage alterné, une progression dans les enjeux, l’arrivée à une finalité aboutie, le tout soutenu par un rythme à la batterie jazzy qui se marie avec le montage; voyez donc ce qu’est une construction qui a un début, une fin et un sens. Cette scène est à elle seule une leçon pour le film tout entier. Si seulement tout le film avait cette intelligence artisanale. En effet le film adore sur-jouer ses effets ce qui amène à une utilisation de la musique contre-productive, redondante et artificielle; elle empêche la construction d’une dramaturgie, tout de suite négligée par l’euphorie musicale sortie de nul part. La musique ne soutient pas l’histoire, au contraire, elle la broie, passe dessus, empêche de poser des enjeux et de les tenir, tout ça pour maintenir le rythme de cette démonstration dissertative. C’est donc ça le cinéma que vous aimez et défendez, cher Damien?


Ce film est un argumentaire, qui suit les passages obligés dans tous les recoins de l’industrie du cinéma, on se permet donc de chercher s’il reste encore dans tout ce marécage démonstratif, des parcelles d’inspirations esthétiques. Exceptée la scène dont je parlais précédemment, rien ne sort du lot, rien ne cherche à faire différemment. La photographie peine à sortir quelque chose qui restera dans la tête, et finit facilement par tomber dans le jaune pipi. Les dialogues sont poreux car les personnages n’ont rien à dire, puisse qu’ils n’existent pas dans le scénario. Et voilà que vient par la même occasion un jeu d’acteur, ou plutôt une direction de ses derniers vide de sens et d’intention; le jeu de Diego Calva à la fin du film en est un parfait exemple, on ne sait même plus ce qu’il veut faire paraitre entre la colère, la peur, l’amour, passant du coque à l’âne agonisant sur le champs de bataille, sans cohérence dans le personnage (puisqu’il n’est jamais autorisé à se developper), à forcer de vouloir tout jouer, il finit par ne parvenir à plus rien faire paraitre. On a donc un Brad Pitt et une Margot Robbie qui font leur numéro habituel, respectivement d’homme nonchalant et de femme folle; car ils ne sont pas là pour jouer mais pour servir de vitrine pendant que votre honneur Damien, continué à déblatérer vos thèses sur Hollywood, le cinéma, l’art; et pourquoi la vie, la mort et l’arrière gout mortuaire que le pastiche peut parfois m’inspirer.


En somme Babylon est une longue déambulation vers le gouffre de la filmographie de monsieur son honneur. On y voit plus rien de particulièrement inspiré, de jouissif pour le spectateur, de marquant comme l’avait pu l’être le reste de son cinéma. Il veut nous parler d’Hollywood, mais pour quoi faire finalement si la forme de son discours est si plate et exhorte le spectateur de toute once d’intérêt envers le propos du film. Parce que oui, on en arrive à la conclusion du film qui véritablement nage dans une belle folie libertaire et qui fera sourire plus d’un spectateur. Oui le visage de fin de Diego Calva est le même que le mien après avoir fini Le Conte de la princesse Kaguya, ou autres films qui se sont vus être des moments marquants de ma cinéphilie; oui je reconnais ce visage comme le mien. Mais je ne reconnais pas ce personnage, pas ce film, ce propos, cette esthétique comme ayant un minimum de vie... Babylon parle d’un cinéma que, cher Damien, vous êtes loin d’être le seul à aimer, mais le film ne parvient pas à être à la hauteur du cinéma pour lequel il a autant d’amour.Je vous prie de croire à mes sentiments les meilleurs, cher Damien.

leDalamadure
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le 19 janv. 2023

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