Il est toujours surprenant de remarquer cette incroyable faculté qu'à le cinéma à parler de lui même. De nombreux films, ne serait-ce que cette année, ont pour scénario la création cinématographique, on peut prendre l'exemple du récent The Fabelmans de Spielberg, ou de plus anciens comme Sunset Boulevard, Singin' in the rain, Once upon a time... in Hollywood, et 8 1/2 de Fellini. Le Cinéma a décidemment pas mal d'orgueil !
Babylon prendra le parti pris de raconter la scission dans le traitement filmique, lors du passage au parlant, et de tout ce que cela engendre, particulièrement sur les acteurs.
Tout d'abord, on remarque aisément que le film a quelque chose de complétement déjanté : les répliques clinquantes des personnages (le fameux "You don't become a star. You either are one, or you ain't. I am" de Nellie), ou les musiques très (voir trop par moment) frénétiques composé par Justin Hurwitz, le prouvent. Tout ceci collent fort bien à l'état d'esprit des années 20. Et c'est aussi notamment pourquoi nous allons avoir toutes ces fêtes absolument gargantuesques, où la démesure humaine fait rage (avec par exemple l'éléphant, les drogues, les costumes extravaguent etc...) Mais qui laissera place plus tard à cette société du paraître (un poil caricatural d'ailleurs), où il faut parler français, faire des calembours ridicules ainsi de suite... A tout ça, Margot Robbie répond par un vomi en gage d'au revoir (moment très amusant).
Le film nous fait, donc, suivre l'aventure de madame LaRoy dans ce monde : on la voit devenir star puis une paria, dans un enchainement effréné d'évènements. Nous avons aussi monsieur Conrad, incarné par Brad Pitt, qui lui occupera une place plus assagi par rapport à ce changement : il cherche à comprendre, et à y voir les bons points, malgré son naturel dégoût ("On ne doit pas s'opposer à la progression"). Nous aurons, par ailleurs, un dialogue savamment construit, entre Conrad et la directrice de publication, qui explique la triste tragédie destinée aux stars du show.
Le film nous dévoile, en surcroît, les techniques cinématographiques avant et après le muet. La scène où le parlant est incorporé pour la première fois est d'ailleurs très cocasse : les multiples ratées, l'énervement croissant de l'assisant réalisateur, et pour finir la mort du caméraman dans la boxe surchauffée, ne manquera pas de faire rire ! Le poste de contrôle sonore est, en outre, intelligemment placé en surplomb, et occupe souvent le milieu de l'écran, permettant de nous faire comprendre à la fois son indispensabilité et son dérangement.
La photographie est toujours pétillante, et emplie de couleurs. Cela nous permet d'être bien tenu en haleine pendant les 3h08 du film (je l'ai vu 2 fois, et les heures défilaient vite !). Autre point sur la photographie : elle est souvent assez large ce qui s'accorde avec la démesure du film, mais surtout, on peut remarquer que les champs contre-champs sont assez peu utilisés, sauf dans les conservation réellement importantes. Les rares fois où il est utilisé, il effectue bien la césure avec tout le déjanté qui se déroule en parallèle (comme dans le dialogue avec la directrice de publication).
Incidemment, la disparation, sous-entendue la mort de la star qu'était Nellie LaRoy, est magnifique : elle se fond dans la noirceur des rues, contrastant avec la luxuriance omniprésente à laquelle elle était habituée. Cette scène peut rappeler la dissipation final de Salina dans The Leopard de Ford
Un des points qui pourrait, en contre-point, rebuté certains, c'est les nombreux parallèles, voire similarités, avec Singin' in the rain qui sont en effet assez récurrentes : nous avons la femme agaçante de Conrad, le visionnage du public par Jack pour voir leur réaction moqueuse envers son acting, et le tournage de la scène sonore. Cependant, le film ne s'en cache pas (il l'apostrophe expressément à la fin), et parvient tout à fait à crée son propre univers.
La finalité de Babylon nous livre une déclaration d'amour ostentatoire pour le cinéma, avec l'arrivée de Manny de retour devant le grand écran après plusieurs année coupé du 7e Art. Scène évidemment très émouvante pour les passionnées (j'avoue avoir lâché plusieurs (de très nombreuses) larmes à ce moment) qui comprennent en tout point ce que fait Chazelle. Même si toute fois il est difficile ne pas ressentir une sorte d'excès, avec la succession de références directes. Mais que voulez vous, l'amour rend déraisonnable !