Dans Louder Than Bombs, Joachim Trier dresse le portrait d'une cellule familiale en crise, trois ans après la mort d'une grande photographe-reporter laissant derrière elle un mari et deux fils dévastés, gérant chacun à leur façon ce deuil insupportable. On y retrouve les thèmes chers au cinéaste norvégien, à savoir l'exploration des tourments des classes bourgeoises et intellectuelles, le déchirement des plus jeunes entre pulsion de vie et de mort, la difficulté d'assumer le devenir-adulte... Car tandis que le père lutte pour communiquer avec eux et rétablir une unité, ses deux garçons passent leur temps à fuir (le fuir lui, la réalité, les responsabilités), l'image manquante de leur mère les obsédant et les empêchant d'avancer.
Oslo 31 août avait surmonté l'écueil du deuxième film avec brio, provoquant une attente et une confiance envers son réalisateur que l'on aurait pas imaginées aussi vite déçues. Car disons-le d'emblée, Louder Than Bombs n'a quasiment rien gardé de la superbe de son ainé si ce n'est la fluidité d'une mise en scène faisant la part belle aux images mentales, à la multiplication des voix et points de vue. Le problème est que, si dans Oslo 31 août elle venait figurer d'une manière doucement poétique (et aussi plus discrète) la fugacité des sensations, ce rapport d'ultra-sensibilité et porosité au monde d'un homme qui s'apprête à lui dire adieu dans une trame narrative des plus effacées, elle se transforme en procédé élégant mais artificiel dans Louder Than Bombs, en se pliant à un scénario beaucoup plus dramatique et foisonnant. Il semblerait que le passage à une production internationale, cet inévitable appel des sirènes du film à stars en anglais ait évacué la sincérité de ses précédents films. Cet académisme fait écran et cette impression d'irrémédiable extériorité au film est également due à la structure morcelée de celui-ci.
Le récit, patchwork clinquant tissé des souvenirs, rêves et projections de chacun des personnages, enferme ceux-ci dans une caractérisation faiblarde que viennent appuyer lourdement ralentis, flashbacks et voix-offs en tout genres. Ils peinent à exister, d'autant plus qu'ils sont incarnés sans conviction par des acteurs en pilote automatique : Gabriel Byrne joue Gabriel Byrne, à savoir son éternel rôle de quinqua conciliant et dépassé tandis que Jesse Eisenberg reste coincé dans son personnage de jeune homme pincé et cynique.
C'est le personnage du plus jeune frère (Devin Druid) qui convainc le plus malgré sa cristallisation du cliché de l'adolescent romantique et borderline, car il parvient à certains moments à donner forme et émotion au film par son mélange d'extrême mélancolie et de bizarrerie géniale. Au détour des quelques belles scènes du film qu'il lui consacre, Joachim Trier rappelle qu'il est un véritable impressionniste, capable d'associations bouleversantes pour figurer le mal-être le plus informe. On se souviendra en outre de cette scène étonnante de premier contact avec la jeune fille désirée qui, éméchée, pisse devant le garçon, la coulée d'urine arrivant jusqu'à ses chaussures et à laquelle se substitue celle de ses larmes à lui, qu'il ne peut plus contenir. On peut aussi concéder au cinéaste d'avoir insufflé au film une certaine drôlerie, inséparable de la douleur, qui le nuance et le sauve parfois de sa prétention et son excès de sérieux, comme lorsque le père (Gabriel Byrne) se crée un personnage dans le jeu vidéo auquel joue son fils pour tenter de communiquer avec lui mais se fait massacrer lorsqu'il le rencontre enfin. Ces rares éclats ne suffisent hélas pas à faire de Louder Than Bombs un bon film et on espère retrouver prochainement un Joachim Trier plus inspiré que pour ce film qui aura fait beaucoup de bruit pour finalement pas grand chose.