En France, on avait les Sous-Doués qui nous contait les péripéties de bras cassés qui trichaient tant qu’ils le pouvaient pour avoir leur bac. Un classique de la comédie française qui est ce qu’il est. En Thaïlande, ils ont désormais Bad Genius, un film de triche aux examens bien plus sophistiqué, bien plus fin (ce n’était pas dur), qui va mettre en scène son sujet comme un mix entre le film de braquage et le thriller. Inspiré de faits réels d’étudiants trichant au SAT (Scholastic Assessment Test), un examen qui mesure les compétences générales verbales en anglais et le raisonnement mathématique, Bad Genius a cassé la baraque en Thaïlande, premier au box-office pendant deux semaines, rapportant 100M de baths (environ 3M de dollars), devenant le film thaïlandais le plus rentable de 2017 dans son pays. A l’étranger, il a battu les records de recettes pour un film thaïlandais dans plusieurs pays, notamment la Chine où il a rapporté plus de 30M$, ce qui en fait le film thaïlandais le plus rentable à l’international de tous les temps. Salué par la critique, il gagne un très grand nombre de prix dans les Festivals (Fantasia, Fantastic Fest, …), et a même remporté un nombre record de 12 prix lors de la 27ème édition des Suphannahong National Film Awards, les Oscars thaïlandais. Et devinez quoi ? C’était vachement bien.
A l’instar du HK God of Gamblers qui arrive à rendre des parties de cartes intenses, du coréen Divine Move qui arrive à scotcher à l’écran avec des affrontements au jeu de Go, ou de son comparse thaïlandais Fast & Feel Love avec une compétition de Sport Stacking, Bad Genius arrive à rendre ses séances d’examens passionnantes. Car oui, il va être ici question de jeunes qui passent un examen et sur le papier, ça n’a rien de palpitant. Mais c’est sans compter sur le talent de Nattawut Poonpiriya (One For the Road) et de son équipe technique qui, avec des procédés pourtant tout simples (gros plans sur des crayons qui écrivent, montrer l’heure qui avance, la tension palpable des élèves), va arriver à faire des merveilles. Les astuces de tricherie, au départ très simples (des réponses écrites sur une gomme qu’on passe au copain) vont petit à petit devenir de plus en plus complexes, de plus en plus sophistiquées. Bad Genius est donc construit comme un mix entre le thriller et le film de casse, et son rythme est très bien pensé, avec une tension qui va monter crescendo et un scénario qui va tenir en haleine du début à la fin. Le film va habilement lier le développement de ses personnages et la mise en place de ce réseau de triche à grande échelle, et jamais il ne va s’enliser dans certains travers dans lesquels il aurait pourtant été facile de tomber.
Lors de la fin du premier acte, on a l’impression que le film n’a plus rien à raconter, et pourtant il rebondit immédiatement pour devenir encore plus intense, avec des rebondissements bien sentis. La narration est maline, n’allant pas forcément là où on l’attend, au point que Bad Genius arrive à parfois décontenancer le spectateur, dans le bon sens du terme, car il ne suit pas le schéma habituel. Les intrigues sont subtiles, et pleines d’esprit. Bad Genius pose pas mal de questions sur le système scolaire thaïlandais qui favorise l’excellence, qui fonctionne parfois avec des pots de vin, qui ne donne clairement pas la même chance à tout le monde. On y voit également une critique plus large, sociétale, clairement universelle elle, opposant les pauvres aux riches, où l’argent est un facilitateur qui ouvre toutes les portes. Mais le film n’est pas manichéen pour autant et il n’y a pas de personnages tout blanc ou tout noir. Chacun a ses travers, chacun a ses rigidités, chacun aura son chemin entre la première et la dernière seconde, que ce soit en bien ou en mal.
La mise en scène de Nattawut Poonpiriya est très dynamique. Il injecte dans son film des éléments qu’on a plus l’habitude de voir dans des clips (milieu dans lequel il a travaillé) mais sans jamais en abuser. Avec son directeur photo, ils vont mélanger à une esthétique contemporaine un côté rétro, aussi bien dans les couleurs que dans le choix de certains décors/costumes et c’est magnifiquement filmé du début à la fin. On ressent une grande assurance chez Nattawut Poonpiriya et chaque plan est réfléchi. Il arrive à faire des merveilles avec son jeune casting, en particulier avec Chutimon Chuengcharoensukying, pour la première fois dans un premier rôle, qui est fantastique. Les autres acteurs/trices ne sont pas en reste et chaque personnage est crédible car suffisamment et intelligemment développé. On pense parfois aux Guy Ritchie ou aux Danny Boyle des débuts lorsque le réalisateur, ponctuellement, injecte dans son thriller des touches plus légères, parfois même comiques, sans que cela ne vienne désacraliser quoi que ce soit. Et bien que le final ne choisisse pas la facilité, bien que la tension soit réellement présente tout le long, bien que les personnages ne cessent de s’interroger sur le côté (a)moral de leurs actions, il règne tout le long de ce Bad Genius une tonalité un peu légère, un peu enjouée, qui se mêle étonnement parfaitement aux thématiques abordées. Parce que, vous l’aurez compris, il n’est pas question ici que de triche, mais également des conséquences plus profondes que cela va provoquer, aussi bien au niveau scolaire (des portes qui peuvent se fermer définitivement) que personnel (des amitiés qui se brisent, des relations familiales qui s’abiment, …). Il est à noter qu’une série télé de 12 épisodes de 50 minutes tirée du film, Bad Genius : The Series, a vu le jour en 2020, et a été également un succès en Thaïlande. Elle récolte la jolie moyenne de 7.8/10 sur IMDB.
Après le bon Countdown et le très réussi One For The Road, Nattawut Poonpiriya prouve avec Bad Genius qu’il est un réalisateur à suivre de très près. Une excellente découverte et un grand merci à Spectrum Films de faire arriver ce genre de films chez nous.
Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-bad-genius-de-nattawut-poonpiriya-2017/