Dans le paysage cinématographique roumain contemporain, essentiellement représenté par Cristi Puiu, Cristian Mungiu ou encore Corneliu Porumboiu, je ne connaissais pas Radu Jude. Avec "Bad Luck Banging or Loony Porn", il me semble qu'il vise très juste mais également que la méthode employée n'est pas la bonne, ou en tout état de cause qu'elle ne me correspond pas. Le message est assez clair et le propos porte sur une dénonciation de l'hypocrisie contemporaine (à l'échelle de la société roumaine ici mais en réalité aussi dans un cadre beaucoup plus général) vis-à-vis de la sexualité et d'autres considérations relevant de la sphère privée — autant que cette dernière existe et parvient à subsister aujourd'hui.
Le film est très cash à ce niveau-là et commence sans ambages par une vidéo porno amateur réalisée par une institutrice et son mari, accidentellement ou de manière malveillante (on ne saura jamais) déposée sur internet. Jude brise d'emblée un tabou en exposant sur un écran de cinéma des images pornographiques en soulignant le paradoxe entre leur absence étrange dans l'espace public et leur omniprésence dans les cercles plus intimes. Ce leak sera la petite flamme à l'origine de l'incendie du déferlement de haine à l'encontre de cette femme, jugée de toutes parts, parents et personnels unis pour demander son renvoi.
C'est sur la forme que le film du réalisateur roumain échoue à véhiculer le fond, et ce à plusieurs niveaux. Le découpage en 3 parties, déjà, paraît artificiel (malgré la présence détonnante de Bobby Lapointe), et ne garantit pas le minimum de fluidité pour dérouler la narration — surtout avec cette partie centrale godardienne frôlant le hors sujet, aussi pertinente et drôle soit-elle. Trop baroque à mon goût. Mais c'est avant tout le dernier acte qui plombe l'ensemble, avec cette farce particulièrement lourdingue mettant en scène un faux procès dans un faux tribunal. Bien trop didactique. Clairement Jude entend questionner la question de l'obscénité, qui se trouve bien davantage dans l'œil de celui qui la dénonce, mais il se repose pour cela sur pas mal de caricatures (sexistes, nationalistes, etc.) lourdes et agaçantes, aussi vraisemblables qu'elles soient, malheureusement.
Amusant de voir tout de même notre quotidien masqué dans un tel film, le premier que je vois, assorti de cette tension permanente et grandissante que l'on connaît depuis deux ans. Radu cherche à montrer que la pornographie, au sens péjoratif du terme, est partout sauf dans la vie sexuelle de la protagoniste, en soulignant l'hypocrisie de son entourage qui souhaite la clouer au pilori pour une vidéo volée. Le film reste cependant intéressant pour sa perspective sur le décent et l'indécent, sur le public et le caché, dans une logique de décadrage satirique plutôt bienvenue. Une belle intention que celle qui vise à rendre compte de l'aveuglement et la cacophonie dans lesquels on baigne depuis trop longtemps.