Il est très difficile pour moi de m'exprimer au sujet de Baise-moi, le "brûlot féministe ultraviolent" (Libé) de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi. En effet, rarement je n'ai été aussi partagé à propos d'un film. En tout cas, une chose est sûre : il ne faut pas le prendre pour le futile road-movie mal foutu dont certains parlent, même si je suis d'accord avec le "mal foutu". Explications.
Baise-moi, c'est avant tout un film de femmes. Et pas n'importe lesquelles. Des femmes avilies, salies par la vie. Tout d'abord, il faut préciser que les deux actrices principales (et aussi Coralie Trinh Thi, au passage) sont issues du monde pornographique. Les connaisseurs ne nieront pas que le boulard français des années 90, c'est pas très beau à voir. Même l'écurie Dorcel s'était mise au crade. Raphaëla Anderson et Karen Bach n'ont pas un métier facile : "Double péné par 5 °C, suivie d'une éjaculation. Couverte de sperme, trempée, morte de froid, personne ne m'a tendu une serviette. Une fois que t'as tourné ta scène, tu vaux plus rien. [...] Le porno, c'est des mecs qui jouissent sur la gueule des filles, la femme qui en prend plein la tronche.". Dévastées par leur expérience dans le milieu, délaissées par leur entourage, dépressives, n'ayant nulle part où aller, Baise-moi sera leur dernière apparence au cinéma. Raphaëla Anderson essayera de se reconstruire notamment en sortant un bouquin nommé Hard, pamphlet contre l'industrie du X, véritable "mafia où les filles sont maltraitées, prostituées". Karen Bach mettra fin à ses jours le 28 juillet 2005 dans l'appartement des amis qui l'hébergeaient, en laissant une note à ses parents.
Ces deux femmes détruites par un commerce honteux et misogyne auront tout de même défrayé la chronique avec le film qui nous intéresse ce soir (on y vient enfin), puisqu'il s'agît d'un des longs-métrages les plus controversés en France. Baise-moi, c'est leur quotidien, les déambulations nocturnes et alcoolisées dans les rues désertes, les parkings, les viols, la ville grise, la société qui les marginalise, à une exception près -et c'est ce qui fait toute la particularité du film- ici, ce sont les hommes qui en prennent plein la gueule. En somme, c'est une bonne grosse vengeance de 80 minutes pour les deux héroïnes qui prennent un malin plaisir à tuer du mâle juste après de copieuses parties de jambes en l'air. Le caractère provoquant de l'oeuvre, qui prend le contrepied du reste de la production française, ne manque pas de surprendre mais est, à mon avis, complètement gâché par la réalisation calamiteuse qui l'accompagne.
En premier lieu, la répétitivité pèse sur le spectateur. On a quasiment la même recette à chaque fois : les deux filles boivent quelques bières, draguent un pauvre mec, le baisent, l'humilient et le tuent. Une fois ça passe, deux fois ça passe, trois fois non. Ensuite, j'aimerais pointer du doigt le peu de moyens techniques mis en place, ce qui provient sûrement du fait qu'aucune maison de production n'a voulu financer ce projet comme il se doit. Du coup, on a une caméra DV (bonjour l'ambiance porno pour le coup), peu ou pas d'éclairage et des cadrages qui laissent à désirer. Enfin, la prestation des acteurs est, comment dire, tellement approximative qu'ici les acteurs pornos jouent mieux que les autres (exception faite, bien entendu, de Bach et Anderson qui sont plutôt justes dans leur rôles).
Baise-moi, c'est le film d'une génération de femmes battues, malmenées, qui auraient mérité un meilleur sort. Il aurait pu être bien meilleur si les limites techniques du tournage n'avaient pas été aussi cruelles. La preuve en est que, malgré une bande-son de punk communiste et un féminisme parfois très douteux, il a réussi à attendrir un connard de réac' dans mon genre.
Et puis, entre nous, c'est pas génial de voir défiler autant de tronches familières ? (Titof, Ian Scott et oh... HPG avec des cheveux !)
La lettre de suicide de Karen ne contenait que deux mots.
trop douloureux