Dès le titre, même si l’on est peu ou pas au fait de ce qu’il se passait au Liban à cette époque (1976…), on sait que quelqu’un va se prendre une balle. Mais qui, quand, et dans quelles circonstances ?
Pas pourquoi, puisqu’elle est "perdue", c’est-à-dire, comme le remarque amèrement l’un des personnages féminins, tirée en l’air par un combattant inconscient et tout content d’avoir provisoirement "gagné", ne se préoccupant pas de la trajectoire, des retombées, des conséquences… Une mâle et triomphante rafale, de la mortelle gloriole.
Un homme armé plutôt qu’un combattant, d’ailleurs, avec des mains d’assassin (autre remarque lancée à un grand frère brutal), un rire qui fait peur aux enfants ; un chasseur qui abat un oiseau - images sur lesquelles s’ouvre le film… Plus rarement une femme qui s’arme pour tenter de combler la distance, une femme dure qui a coupé ses cheveux, roule ses cigarettes et parle de vengeance et de politique.
La honte, la crainte du "qu’en dira-t-on", l’honneur, la terreur règnent dans une société patriarcale où les coups remplacent les mots (« Qu’est-ce que tu veux que je te dise »), quand les regards de peur et les larmes d’impuissance ont remplacé l’amour au sein du couple, de la fratrie, de la famille, de la patrie.
Une épouse se doit de quitter son travail et de s’occuper de son mari et de ses enfants (pourvu qu’il y ait au moins un garçon parmi eux), lesquels ne sont pas pour autant préservés de la violence des rapports et des conversations entre adultes. Les nièces Camelia et Moni ont déjà presque perdu leur innocence, pas encore leur franchise et leur affection pour leur tante institutrice et modèle, mais leur père va les forcer à plier dans une des scènes les plus angoissantes.
Face à la malédiction d’être née fille, quelle autre rébellion que quitter la table pour aller vomir, dire « non » et choisir la solitude (en l’occurrence le célibat assumé), quelle autre option que la fuite, et, quand toutes les portes claquent et se ferment, la folie…
Eux, nous, les autres, notre pays, notre terre, et les voilà qui abandonnent le navire, les hommes et les femmes et les enfants, tous sauf Noha, celle dont on aura suivi la chute en même temps que la rechute de la guerre, avec les bombardements qui reprennent.
Il y a des chiens errants en meute qui s’avèrent plus inoffensifs que les humains, des citronniers sous la pluie, de longues marches sous le plein soleil, une robe de mariée qui porte malheur, des tissus et des dentelles qui forment un héritage pendu dans une armoire, seuls survivants d’une maison détruite, d’une vie ravagée.
Malédiction, fatalité… Dieu n’est pour rien dans cette histoire déchirante, étouffante, durant laquelle mon cœur serré a fait quelques faux bonds.