Bande à part
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le 27 oct. 2014
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3e film, 3e claque. Céline Sciamma invente toujours quelque chose: dans sa mise en scène, dans son propos comme dans les quêtes qu'elle écrit. Et particulièrement dans ce film, qui suit un personnage par le corps, presque exclusivement par lui, sans jamais le dénuder, dans ses choix et dans sa transformation. Marième a 16 ans et, si elle ne sait pas encore ce qu'elle veut faire, elle sait ce qu'elle ne veut pas: devenir une femme au foyer, faire des ménages, se marier, se ranger et encore moins faire un CAP à l'issu de sa deuxième troisième. C'est après cet échec qu'elle entre dans le groupe, dans une "bande de filles". Elles sont trois et la hèlent soudain, Lady veut l'emmener à Paris avec elle et ses deux acolytes. Si Marième refuse ce n'est que pour mieux accepter par la suite. Pour se sentir protégée, soulevée par la force du collectif. Dès les premières images, dès la première scène qui vous happe, sorte de chorégraphie sportive sur fond de musique puissante, le ton est donné: on s'affronte au corps à corps, au désaccord. La lumière, l'euphorie puis le retour, la nuit, le groupe se disloque peu à peu, Marième est seule. C'est sa première étape, accepter de ne pas faire comme tout le monde, refuser les maigres choix offerts et, surtout, vivre son adolescence.
La première rencontre entre les 4 filles est déjà grandiose: dans cette manière de les confronter, de faire de Marième une observatrice, pour s'adapter, entrer et combattre. Puis vient le temps de la 2e transformation, le corps danse, apprend des gestes, s'infiltre dans le groupe. De la solitude, Céline Sciamma, nous entraîne dans la force du collectif. Et Marième s'intègre très vite. C'est le temps des bagarres et des brimades sévères du grand frère. Et de la conquête du corps, de la ville, de la banlieue (jamais misérabiliste, jamais grise) que Sciamma réinvente à sa manière, avec cette bande de filles noires qu'elle voulait à tout prix représenter. Elle a été les chercher dans leur espace, là où elle pouvait les croiser dans Paris. Des lieux où elles prennent toute la place, tout en restant invisibles. De cela, Céline Sciamma créer un univers, celui qui lui est propre, mais sans l'épuiser. C'est alors que Marième tâtonne, essaie, court, vole, cogne, fuit. Et ces filles s’entraînent dans des états particuliers de grâce: une grâce parfois malhabile, souvent électrisante. A l'image de ces transformations physiques, qui passent par le vêtement, où Marième s'approprie un corps jamais définitif. Elle épuise les masques. Et Céline Sciamma incruste cette individualité dans des plans serrés d'abord sur une partie du corps, avant d'intégrer dans la scène, son collectif. Cela lui donne de merveilleuses idées de mise en scène, par le costume, par le décalage entre ce que l'on s'imagine de la scène, et ce qu'elle se révèle vraiment être une fois établie en plan large.
Découpé en chapitres, marqués par de longs écrans noirs, le film fait endosser à Marième ses choix, par l'habit et le langage, qui ne sont jamais stigmatisant. Elle regarde ces filles, elle ne les juge pas, elle ne juge personne de toute façon. Son cinéma est politique, sans être militant. Il dit l'absence (de représentation, d'avenir) mais sans jamais se tourner vers le passé. L'avenir est le seul horizon qu'elle offre à ses personnages, la seconde qui suit est toujours un mystère, tout près à exploser. C'est comme ça que Sciamma met en scène ces filles: au bord de l'explosion mais avec une douceur affamée. Elles se hurlent dessus, se serrent dans les bras. Puis, elles s’enivrent, s'écrivent des conflits. Elles se mettent en scène au sein de celle de la réalisatrice. Le film est sans fausse note car il est penché tout entier dans le devenir, un devenir qui n'est pas forcément lumineux, mais quelque chose de combattant, rien de tracé. Que dire de plus? Sinon que Céline Sciamma envisage chaque fois la possibilité de réinventer les critères sociaux de les transcender pour en faire un film foncièrement nouveau sur des thèmes rabattus: la banlieue, le climat social... Ici, c'est avant tout des femmes que filme Céline Sciamma, le féminin, c'est le thème dans lequel elle s'engage le plus. Mais jamais pour militer, seulement pour dire la culture, comprendre l'enjeu d'une construction, donner à voir.
La féminité y est pourtant sans cesse transgressée, le corps pouvant vite devenir un ennemi. Les angles, les couleurs, la musique (dont la superbe séquence sur Rihanna) sont autant de révélations d'une metteur en scène hors pair, qui fait des plans une construction savante qui fait naître et s'épanouir les corps, sans jamais les écraser. Et sans jamais oublier de confronter les personnages à leurs propres limites, frontalement. Si le collectif se disloque, l'individu persiste, s'écrit encore et encore. Dans les danses, déjà filmées dans ses deux précédents films mais moins spécifiquement, il y a la libération mais aussi cette collectivité qui veut vivre simplement, se laissant le droit d'envahir les lieux et de dire "j'existe".
C'est cela le cinéma de Céline Sciamma, faire exister, par la caméra amoureuse, habile, élégante, et surtout, comme elle le dit très bien de "partager des solitudes". Dans la salle, il y avait plus qu'un film. Ce film a été vu à l'occasion de la reprise de la Quinzaine des réalisateurs au Forum des images, en présence des actrices et de leurs amis qui ont prouvé ce qu'était surtout ce film: une prolongation permanente, de l'énergie, un regard très aiguisé sur un monde par le bas (les plans commencent par les pieds) jusqu'au ciel (puis ils s'élèvent jusqu'aux corps-paysages). Ce soir là, les filles et les garçons ont fait un accueil puissamment chaleureux au film, aux actrices, et toute l'euphorie s'est propagée à la salle. A la fin, les mots des spectateurs, lors de l'échange étaient "merci". Et, c'est cela qu'on veut dire à Céline merci d'exister et de faire exister par votre cinéma !
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Créée
le 31 mai 2014
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20 commentaires
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