Bande de filles est enthousiasmant de par la vie émanant de ses protagonistes. C’était le cas dans Naissance des pieuvres et Tomboy, et tout le casting respire la fraîcheur. Sans nous surprendre vraiment, Céline Sciamma reprenant les codes qui ont fait l’efficacité de ses précédents travaux (exemple type, la séquence chantée sur Diamonds de Rihana un brin clippesque pour montrer le pétillement des personnages et forcer l’empathie). Mais ce n’est pas là qu’est l’intérêt de Bandes de filles. C’est clairement dans les codes sociaux qu’il illustre. Bande de filles, c’est un film dans la lignée de Klip, en moins trash, mais tout aussi révélateur des tendances comportementales de la jeunesse. Mais Bande de filles va plus loin et montre même un enracinement chez les adultes, et nuance davantage des éléments qui apparaissaient déjà dans Naissance des pieuvres. J’avais déjà relevé la constante connotation menaçante des mâles dans la filmo de Sciamma (plus nuancée dans tomboy, mais toujours présente), et regretté qu’elle n’ait pas été davantage plus nuancée. Ici, elle est constamment étalée, à chaque instant. Rarement le genre masculin en aura pris autant dans la gueule. Avec, pour le plus grand bonheur de l’amateur en sociologie, les mécanismes sociaux qui sont responsables des tensions. Pris sous cet angle, les deux heures du film de Sciamma sont bien remplies, et soulignent avec justesse de nombreuses vérités. En commençant immédiatement par taper sur les orientations systématiques en CAP qui mettent prématurément de nombreux jeunes sur le marché du travail, Céline souligne déjà une certaine précarité question situation. La pression masculine provient essentiellement de son frère, cliché du zoneur des cités qui ne jure que par sa réputation et qui impose cette mentalité par la force à ses sœurs. Les hommes peuvent éventuellement tolérer la force d’une femme, faire comme si elle s’intégrait, mais toujours temporairement, car à la moindre faiblesse, la déchéance est immédiate et constamment exagérée. C’est la tyrannie des hommes. Coucher, c’est devenir une pute. Tomber amoureuse d’un pote de son frère, c’est nuire à sa réputation. Des tas de commandements basiques qui verrouillent l’existence de Marième, et qui sont encouragés ou assimilés par les adultes (la mère qui pousse sa fille dans la même situation qu’elle, son premier employeur qui fait d’elle sa pute perso). Arrive alors ce qui s’imposait comme la solution à l’émancipation : devenir une bitch. C’est ça, la bande de fille. Une solidarité féminine qui rassemble et dont on pourrait tirer une force. C’est sur la longueur que le film capte combien cette solution est inappropriée. Car si la provoc et l’audace conférée par le groupe (nombreux crêpages de chignon, combat de rue pour défendre la réput du quartier) donnent des tranches de vies, l’effet se dissipe dès que la bande se dissout en rentrant le soir. Les filles sont toujours soumises aux mêmes règles. Elles échappent juste aux impératifs du boulot ou des corvées ménagères, mais n’ont aucun changement dans leur cadre de vie. Que faire quand la pression masculine n’est pas tolérable et que la façon de s’émanciper par la provoc est sans issue ? Le film tente l’autosuffisance avec la fuite de Marième et son premier emploi : dealer à temps partiel. On sent déjà que ça va bien marcher, cette affaire là. Mais pas de la façon dont on s’y attendait. En acceptant l’offre du caïd, elle se met implicitement à sa botte, et il ne se privera pas de le faire remarquer. C’est avec ce genre de détails que Sciamma dresse son portrait de la gente masculine, plutôt efficace car cohérent dans son contexte. Là où il m’a fait valser, c’est avec l’histoire d’amour avec le seul noir du quartier qui semblait sympa. Le développement est efficace, les étapes claires. Et la conclusion écrasante. Le mariage. Qui selon l’homme réhabilitera sa réputation et lui donnera l’occasion d’être quelqu’un, de devenir mère. Parce que c’est toujours mieux que ce qu’elle vit maintenant. C’est… radicalement féministe et abominable comme coup d’estoc porté à la conception traditionnelle du couple, totalement assimilée à une dernière tentative de main-mise de l’Homme sur sa femme. C’est assez violent intellectuellement parlant, car à ce moment, Bande de filles rejoint en droite ligne The Woman, dans cette volonté totale et générale de la masculinité de vouloir dominer le sexe féminin. Dans n’importe quel aspect de la vie. C’est là que j’ai tendance à prendre quelques distances. Car le film nie la capacité des hommes à comprendre les sensations des femmes et à en tenir compte. Sans la moindre contre-mesure. Mais en précisant son cadre et en détaillant les réactions de chacun, il parvient à retranscrire un monde cohérent où les rapports de force sont clairs. Et quand tout nous ramène à la même situation d’oppression masculine empêchant l’émancipation recherchée, que reste-t-il ? Se relever et fuir ? C’est de toute façon ici que le film nous laisse, aux prises avec les nombreux éléments qu’il a avancé. Sans doute que les FEMEN nous en reparleront, elles tiennent ici une belle bannière à brandir. Mais tous les hommes ne sont pas de cette étoffe, mesdemoiselles…
Voracinéphile
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le 26 oct. 2014

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