Filmer les banlieues a toujours posé problème au cinéma. Problème de distance du cinéaste face à son sujet, de direction d’acteurs, d’un choix d’une mise en scène documentaire ou fictionnelle. La grande surprise du troisième film de Céline Sciamma, c’est que ce dernier vient dynamiter toutes les attentes et préjugés que le spectateur lambda pourrait se faire à la vue de cette affiche simple, mais dégageant un charme mystérieux non dénué d’attirance, titillant une curiosité bien plus face aux actrices qu’au film lui même.

Chacune repérée par un casting sauvage, les quatre interprètes principales de Bande de filles apparaissent totalement refaçonnées par la caméra de la cinéaste, au filmage anti-naturaliste qui les suit dans leurs déambulations parisiennes, resituant leurs corps dans un espace à priori sans grand intérêt cinématographique, dont l’utilisation des décors montre néanmoins tout son potentiel. De la danse, des combats de gangs, la vie en banlieue observée par Céline Sciamma est ici traduite à l’écran de manière plus que séduisante, arborant une esthétisation pop des plus glamours pouvant lointainement évoquer les films de Sofia Coppola.

La trame du récit s’étire longuement, ne cherche pas dans les deux tiers du film une surdramatisation inutile, reste lente et sobre comme l’était celle de Tomboy et Naissance des Pieuvres. Ces deux premiers films traitaient de la sexualité dans l’enfance comme Bande de filles traite de l’intégration dans une communauté sous toutes ses facettes. Le film se perd ainsi dans les registres dramatiques et comiques, refuse le conditionnement dans ses instants lyriques bouleversants (la danse sur le morceau de Rihanna, le travelling latéral sur les quatre filles cheveux au vent) venant quelque part troubler cet équilibre parfois trop dosé de noirceur et de luminosité.

La toute dernière partie du film, pouvant davantage être vue comme un long épilogue, est en ce sens bien loin du niveau des séquences précédentes. Céline Sciamma décide de montrer une ultime « descente aux enfers » sans grand intérêt, à l’émotion trop appuyée pour émouvoir, avec l’entrée de nouveaux personnages parfois peu crédibles. Tout cela pour montrer Vic (Karidja Touré) retombant sur ses pieds, ayant vu naïvement une part sombre enfouie dans son monde.

La qualité des quatre vingt dix premières minutes ne retire toutefois pas cette drôle de sensation d’avoir visionné un film maîtrisé et intelligent, beau et touchant, sans regard misanthrope envers la société restante volontairement occultée, tout comme la figure des parents (déjà le cas dans Naissance des Pieuvres). Un petit voyage en banlieue parisienne nous ouvrant littéralement les yeux sur quelques beautés d’un univers que nous croyons connaître, mais qui revêt un caractère bien différent et passionnant devant la caméra d’une réalisatrice dont le style ne semble jamais s’épuiser.
Forrest
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le 23 oct. 2014

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