Le Miroir
Avec Barbara, Mathieu Amalric s’échappe d’une écriture linéaire et décale le genre du biopic vers des sphères plus spectrales et éclatantes. Alors que Jeanne Balibar incarne les traits de la...
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le 10 sept. 2017
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27 novembre 1997… son dernier voyage et pour nos cœurs déchirés, ce fut le dernier naufrage. Barbara un timbre de voix aussi violent que fragile, des mots simples pour vous griser le cœur et l’âme, une silhouette spectrale et évanescente. Une femme mystère et insulaire et lunaire qui connaissait de l’amour plus que tout autre poète. La Femme !
Concevoir qu’Amalric soit y sensible n’est pas hérétique. De là à remettre en vie la chanteuse en image, aussi douée que soit Jeanne Balibar, cela frisait l’iconoclasme. C’est du moins ce que je pensais en découvrant pour la première fois le projet du film. Mais la rumeur cannoise, et quelques interviews après, pointait une réelle curiosité.
Première image. Premier choc ! Tout comme pour Yves Zand (Amalric le réalisateur dans le film) et sans doute pour des dizaines de milliers de fan. Retrouver comme avant, longtemps après, les photos, la mémoire se dressant comme au passé, celle qui porta si haut la chanson qu’elle en devint majeure, n’en déplaise à Gainsbourg.
Tout Barbara est dans le film, le réel se mêle à la fiction, la fiction interpelle les souvenirs, et pour ne garder que la substance, Amalric se joue et joue avec nous à un jeu de piste. D’un accessoire, un mot, un coin de décor ou même un silence, ce sont autant de détails qui la recomposent, la fait revivre et réchauffe notre cœur qui s’est un peu figé ce soir de novembre… A ceux qui comme moi, ont lu interviews, articles ou la bible de Tournier, où l’on a volé des petits morceaux de sa vie, on sourie, s’attriste ou s’émerveille de les retrouver. Le fait de placer Jeanne Balibar (César à coup sur !) en actrice qui joue Barbara pose la distance d’un réel, tout en se disant on s’y croirait. Et quand Yves Zand dont on ne sait s’il l’a connue ou non, est pétrifié par cette ressemblance, quand il prend en salle la place d’un figurant pour revoir une dernière fois la longue dame brune, les yeux rouges et le sourire figé, le spectateur se retrouve dans le même état. Plus encore quand s’entrecroisent images de l’époque et celle reconstituée. Balibar n’a pas la voix unique et fragile de Barbara, mais l’on finit par ne plus y prêter attention, sa prestation se fait mutation, l’image des deux femmes se superposent et l’on assiste comme à l’époque, aux coups de gueule, folies, aux joies à la détresse. Leurs vies l’espace de magnifiques moments fusionnent. Le spectre de Barbara est à l’écran.
La scène la plus significative, dans ce sens, est celle où Jeanne Balibar entonne « Les amours incestueuses ». On n’entend plus sa voix, on ne ressent que l’émotion d’un tel texte, on écoute une histoire, celle de cette femme qui ne sait pas dire je t’aime et est effrayée par cet amour avec un jeune homme de 20 ans son cadet… Cette scène est charnière dans le film, lui donne tout son sens référentiel et le place au même niveau que la biographie de Tournier, indispensable à la connaissance de la chanteuse pour qui « rien ne résiste à son piano, à ses théâtres, à la route partagée avec d’autres.»
Mais ce n’est pas la seule présence de Jeanne Balibar qui confère au film sa perfection. La mise en scène d’Amalric est toute en démesure, tonitruante, pleine de folie douce, elle participe à la reconstitution de l’époque, de la femme. Il en est de même pour la technique, le montage de François Gédigier est elliptique, le décor de Laurent Baude totalement épuré, les costumes de Pascaline Chavanne impressionnants d’authenticité et la photo de Christophe Beaucarne au plus près de l’époque, aux heures de nuit où elle rodait comme un chat ou celles des matins où un presque rien ne l’émerveillait !
Une question toutefois se pose, comment le public non initié va-t-il réagir ? Car Amalric suggère beaucoup et le scénario n’est pas structuré chronologiquement. La forme même du film ne va-t-elle pas rebuter le grand public ? A l’heure où la réflexion et la culture des masses s’amenuisent, l’accès à cette œuvre sera difficile.
Pour ma part, je suis un inconditionnel de Barbara et je trouve ce biopic remarquable à tout niveau profondément bouleversant et le plus beau des hommages que l’on pouvait rendre à cette femme éternellement amoureuse et prodigieusement sublime.
« En tout cas, sachez que c’est avec vous, par vous et pour vous que j’ai vécu, même si c’est aussi pour moi bien sur que j’ai chanté. Parfois aussi vous étiez lourds, envahissants, terribles ; je me sentais poursuivie, harcelée, dévorée. J’ai eu souvent très peur, mais je vous ai aimés. Jusqu’à l’épuisement de mon corps, de mon cœur, de mon âme, jusqu’à la douleur, l’aliénation. »
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le 12 sept. 2017
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