Film mythique, un exemple du genre (mais quel genre en fait ?)
Mais pourquoi ai-je attendu si longtemps pour le voir ? Je remercie Novgarod d'avoir bien voulu me dévoiler ce chef-d'oeuvre, d'avoir bien voulu diffuser cette montagne de subversion sous son propre toit (il en faut du courage !)
Catherine Breillat nous plonge dans la noirceur de l'âme humaine. Ce film nous aide à comprendre comment quelqu'un peut en venir à perpétrer un meurtre, c'est tout un mécanisme de pulsions qui se révèle à nous.
Breillat prend des risques en faisant cela. De bourreau, on la verrait facilement passer au statut de victime, par vengeance. Elle révèle la bête enfouie à l'intérieur de chacun. Le coup de maître c'est de transformer le spectateur lui-même en Barbe-bleue.
On se surprend à vouloir sa peau, à vouloir lui arracher les boyaux et les lui faire bouffer par le nez, à vouloir lui écraser tendrement la tête avec une massue cloutée... C'est une expérience métaphysique, une expérience qui nous prouve que toute personne, aussi pacifiste soit-elle, cache en elle un mécanisme pulsionnel terrifiant.
On comprend bien que tout se passe en dehors du film, et que celui-ci n'est qu'un alibi en forme d'amas d'erreurs cinématographiques monumentales.
Car en plus d'être une prise de conscience pour le spectateur, ce film est un recueil académique de tout ce qu'il ne faut pas faire au cinéma. Une vraie leçon pour les réalisateurs en herbe, qui, dès qu'ils se diront "ça fait un peu Barbe bleue là", sauront qu'il faut changer quelque chose.
Pour le rythme... En fait je ne sais même pas si on peut parler de rythme, c'est bien ça le problème. Des plans longs, chiants comme la pluie, dotés d'une photographie dégueulasse, mais avec une trouvaille incroyable : Breillat crée le suspense du plan long, le spectateur se demande si les protagonistes vont sortir du champs avant le changement de plan ou non. Une fois oui, une fois non, c'est un nid à paris, c'est une surprise sans cesse renouvelée. Autre surprise : les changements de scène qui te sautent à la figure sans que tu t'y attendes. Une mine d'or !
Pour les personnages, Breillat a fait appel à des acteurs fabuleux, qui se contentent de réciter leur texte avec une fausse intonation. Ca bouscule nos habitudes, ça nous dévoile les coulisses du cinéma, car Breillat nous dit bien là qu'après tout nous ne sommes qu'au cinéma (car oui on était déjà bien trop immergé). On se plonge dans le film, et paf, une claque monumentale à chaque fois qu'un personnage ouvre la bouche, claque qui nous rappelle durement à la réalité. Breillat nous replace encore dans la réalité en ne faisant pas appel à des comédiennes au talent de chanteuse incroyable, mais en nous soumettant deux gamines qui chantent atrocement faux. Cela donne deux scènes atroces, mais d'une justesse terrifiante : après tout, pourquoi est-ce que tout le monde est tout le temps obligé de savoir chanter juste ? A en croire les autres films (oui parce qu'il y a Barbe bleue d'un côté et les autres de l'autre), on vivrait dans un monde surpeuplé de chanteurs confirmés. EH BIEN NON ! Breillat affirme sa posture de rebelle à contre-courant.
Rebelle, oui c'est le mot, car il en faut du courage pour faire parler deux fillettes dans un grenier de l'homosexualité. Ca c'est un coup de nez à Civitas et cie. Deux gamines qui d'ailleurs sont abominablement chiantes (elles y sont un peu pour quelque chose pour l'envie de meurtre), comme tous les gamins de la vie de tous les jours d'ailleurs, en cela Breillat continue à parfaire ce réalisme poignant.
Rebelle aussi cette scène où la fille découvre les cadavres des femmes de Barbe-bleue. Pourquoi l'actrice qui joue la femme de Barbe-bleue est-elle remplacée par celle qui joue la narratrice de l'histoire ? On assiste là au plus gros mindfuck de l'histoire du cinéma, un twist final de folie ! (ou alors la première actrice avait trop peur pour marcher sur du faux sang à côté de cadavres hyper réalistes qui d'ailleurs portaient des robes immaculées mais avec malgré tout quelques coulées sur les jambes... raffinée, d'ailleurs, cette représentation des règles !)
Après je pourrais parler de l'escalier en colimaçon où l'on reprend le même plan pour filmer chaque étage, des scènes de repas bien longues, du mort qui respire... enfin y a tellement de choses, c'est une vraie pépite !
Je vous le recommande vraiment chaleureusement, et couplez à ça une ou deux interview de la réalisatrice afin de bien percevoir la complexité de sa personnalité (de toute évidence, elle a une case en moins)
PS : je crois que Senscritique devrait débloquer le 0/10 juste pour cette "oeuvre"-là, parce que ça m'a fait mal de donner un point