Peinture sociale chatoyante en noir et blanc

En commençant à regarder Barberousse, je me disais déjà que j'étais sceptique sur l'attribution d'un dix à ce film. Non je n'allais pas mettre un dix à un film se passant dans un hospice. Ca, c'était avant de me laisser charmer petit à petit... Red Beard grows on you, comme on dit.

Moi qui n'y connais pas grand-chose en technique cinématographique, cadrage et compagnie, je peux dire que j'ai trouvé la réalisation de Barberousse majestueuse. Cela m'a fait l'effet d'une longue peinture mouvante en noir et blanc. J'étais souvent ébahie par la beauté d'un plan, de cette couleur inexistante qui donnait tant d'harmonie à l'ensemble.

Barberousse ne serait rien sans ces personnages si emblématiques.

Et surtout son personnage éponyme qui, s'il est plutôt discret au final dans tout le film, le hante. C'est au patron qu'on se réfère, c'est à lui que l'on tente de plaire ou c'est à lui que l'on tente de s'opposer. Ainsi Barberousse n'est jamais vraiment absent car il vit à l'intérieur même des autres personnages.

Ce bourru au grand cœur, ce Dr House du passé m'a conquise. Barberousse est un badass, ni plus ni moins. Et j'étais saisie d'admiration pour ce grand personnage. Barberousse méprise les bourgeois, il n'a pas peur de dire tout ce qu'il pense, comme il le pense. Barberousse casse des bras et des jambes et puis s'inquiète de ses victimes qui se voulaient ses bourreaux. Barberousse qui triomphe sur la maquerelle est un chapitre épique de la grande histoire que Kurosawa nous raconte d'une façon si délicieuse. Enfin Barberousse est drôle. Il a ce recul sur lui-même qui lui fait se reprocher ses « méfaits » et se définir à son assistant comme un mauvais exemple à suivre. J'étais heureuse de le voir sourire de toutes ses dents dans une toute petite scène. Cela valait le coup d'attendre. Ce qui le rend admirable, c'est qu'il ne soigne pas seulement les corps. Il tente également de soigner les cœurs. Barberousse kidnappe donc une jeune fille dans une maison close, l'arrache à une vie de misère pour la faire habiter dans son hospice. Il a ses travers et il en a conscience mais il est quand même supérieur à la majorité des hommes et c'est ce que j'aime chez lui.

L'assistant, Yasumoto, devient de plus en plus attachant. Et il est beau, Yuzo Kayama ne lui fait aucun tort. Beau de corps mais aussi d'âme même si comme tout un chacun il a du mal à pardonner. J'ai pris plaisir à suivre son évolution, son apprentissage, son ouverture à ce qu'il avait longtemps choisi de rejeter. Alors qu'au départ, il était un être fier, imbu de lui-même, peu à peu il murit, assimile les leçons que Barberousse lui inculque. Et c'est là qu'une scène où il est revêtu de la tenue médicale prend toute son importance. Au début il ne veut que partir et désobéit à multiple reprises pour qu'on le chasse mais à la fin il n'a d'autre intention que de rester. Et j'ai alors senti mon cœur faire un petit saut de joie.
Barberousse c'est la comédie humaine, le sort qui frappe les hommes et l'humanité qui est érigée en principe à l'hospice. Le film est composé de plusieurs longues scénettes évocatrices de la condition humaine. Il y a des arcs qui m'ont plus plu que d'autre mais tous m'ont un tant soit peu émue. L'histoire de ces amants nés sous une mauvaise étoile est particulièrement tragique et singulière.

Mais l'histoire que j'ai préférée par-dessus tout, c'est celle de cette petite échappée de la maison close, son apprivoisement. Elle qui avait été brutalisée, considérée comme une chose que l'on possède par une femme qui pense que parce qu'elle l'a prise en charge elle a droit de vie ou de mort sur sa personne, j'ai trouvé fascinant de voir cette petite s'ouvrir au monde et découvrir que si tout n'était pas forcément rose dans la vie, on pouvait quand même compter sur certaines personnes. L'amour la transfigure. Tout ce soin qu'elle prend pour soigner celui qu'elle aime... Otoyo est tellement charmante, tellement mignonne... Il était dur de ne pas fondre comme la neige.

Cette première affection la conduit à une autre. Et j'ai fondu avec Chobo aussi, un petit voleur au franc-parler drolatique, qu'une vie miséreuse a fait grandir avant l'heure. La scène autour du puits m'a beaucoup touchée. Je savais que j'allais en vouloir à Kurosawa si je n'étais pas exaucée.

Barberousse c'est la possibilité de changer. De vaincre ses peurs et de s'épanouir pleinement, d'accepter de faire entrer les autres dans notre vie, d'aimer profondément celui qu'on haïssait au départ, de changer d'avis sur une personne que l'on avait mal jugée. Tragique, émouvant, dur, comique, il y a à peu près tout dans Barberousse, de la castagne aussi où l'on est admiratif devant tant de virilité surprenante de la part d'un médecin de campagne, mais surtout surtout de l'émotion avec plusieurs personnages aux histoires émouvantes. J'ai trouvé les acteurs très justes et très naturels, que ce soit Mifune ou Kayama ou bien le reste. La musique de Masaru Satou qui est plutôt discrète, mais qui forme l'entracte d'à peu près cinq minutes sur fond noir, ne gâche en rien le film et dramatise sublimement certains moments.

Barberousse (aka 赤ひげ Akahige) est un petit bijou. Et c'est une belle histoire d'amour entre deux hommes. Après les trois heures, et la fin jouissive j'en voulais encore.
Sassie
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le 20 mai 2011

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