"Barbie", porte-étendard du feminism washing

On nous le vend comme le film qui réconcilie les fans de la poupée avec celles qui la détestent. Comme le ricochet de #metoo en version comédie. Mais le top du box-office estival est avant tout un coup de maître publicitaire pour marques en vue.


J’ai grandi dans une allée de lotissement, en région parisienne, dans une maison de type classe moyenne voisine de celle d’une Barbie girl de mon âge. Fille unique, “Christelle” avait plus que le nécessaire pour être la fille la plus populaire à des kilomètres à la ronde. Grande, blonde, elle portait des jeans délavés, des boots à franges, le genre que même en sommaire du catalogue de La Redoute, on n’en voyait pas. Sa mère passait son samedi à nettoyer la moquette blanche du salon dans laquelle on ne pouvait pénétrer que pieds nus (du coup, personne n’y allait), pendant que son père frottait sa Mazda orange, depuis les pneus au rétroviseur intérieur. Pendant ce temps, Christelle et moi nous enfermions dans sa chambre blanc nacré et rose pâle pour jouer.

Christelle avait des journaux intimes avec cadenas et stylo à paillettes, une tête à maquiller, des posters de Sarah Kay. Et des Barbies. Là encore, elle possédait tout ce qui pouvait la placer en haut de la liste : le van, la robe de soirée qui à coup sûr ferait craquer Ken, la tenue de camping tellement adaptée et chic, etc.


Moi, je n’avais rien de tout ça. Je n’avais jamais montré d’intérêt pour les poupées baigneurs ; quant aux Barbies, elle me parlait d’un monde parfaitement étranger : celui de Christelle qui piquait des crises parce que ses chaussettes - dans ses bottes - n’étaient pas assorties au reste de sa tenue ; parce que sa mère lui avait mis son sandwich dans un sac en plastique Carrefour “tellement prolo” ; parce que sa mèche ne tombait pas parfaitement sur la moitié de son sourcil.


“Barbie”, contre le patriarcat dans la joie et la bonne humeur

Vous l’avez probablement lu ici ou là : Barbie, le film de Greta Gerwig, se veut une déconstruction du patriarcat et une ode au pouvoir du féminin dans la joie, le rose et la bonne humeur. Ce qui n’est pas faux. Mais un peu de contexte est parfois nécessaire quand on parle de films à message venant de Hollywood. Voici cinq points qui m’ont fait grimacer au point de me rendre le film indigeste.


  • Une représentation simpliste. Dans le monde de Barbie, il y a les hommes et les femmes. Les femmes sont fortes et belles, elles aiment les fringues et font attention à leur intérieur. Dans le monde réel - où Barbie devra se rendre - le patriarcat domine, les ouvriers sur les chantiers sont gros et beaufs. Il n’y a pas de personne transgenre. Tout le monde est hétéro.
  • Etre une femme, c’est être jeune ou très vieille. Avec Barbie, on a une parfaite illustration du fameux “tunnel” de la comédienne de plus de 50 ans dénoncé en France depuis 2015 par la commission AAFA, qui constatait encore en 2021, que seuls 7% des rôles étaient attribués à des femmes de plus de 50 ans (moitié moins que pour les acteurs de la même tranche d’âge) alors même qu’une femme française sur 2 a plus de 50 ans, selon l’Insee. Autrement dit, dans l’univers rose de Mattel, on est soit une bombe atomique aux formes rabotées à la limite du réel (merci d’avoir respecté la politique des quotas avec ici une femme noire, là une femme grosse), soit on est une mamie "tellement gentille et inspirante”. Entre les deux, on peut éventuellement être mère - mais c’est quand même un sacré sacerdoce.Exit les femmes portant des stigmates de vieillissement mais pas suffisamment pour jouer les bonnes grands-mères, les potelées, les femmes en jogging, pas maquillées, celles qui ne sont pas coquettes. Ça fait beaucoup de monde. Personnellement, dans ce monde-là, je suis invisible depuis que j’existe en tant que fille. Et aujourd’hui, je ne vous en parle même pas (bon, je ne porte pas de jogging…).
  • A la fin, c’est quand même le rose qui gagne. Malgré la morale de l’histoire en mode “toutes des super meufs”, l’héroïne reste Barbie : une blonde passionnée de vide et de jolies tenues coordonnées - et probablement de boots à franges. Sasha (Ariana Greenblatt), la jeune rebelle du monde réel, troque son baggy noir et son look destroy contre une pimpante robe rose sans qu’on comprenne pourquoi. Comme si le bien-être de la femme passait forcément par des codes couleurs, des codes de beauté - et, de là, des marques.
  • Justement, les marques : parlons-en. Le cinéma peut aujourd’hui produire des films avec des castings costauds (et réfléchi selon la cible - cf. Emma McKey, Ncuti Gatwa ou encore Connor Swindells vus dans la teen série Sex Education) à des fins publicitaires. Sont ultraprésents dans le film: Mattel (bien sûr), mais aussi Bikenstock, Chanel, sans compter les multiples partenariats - Burger King, Google, AirBnB, Gap, Zara, Xbox, Claire’s, etc. Au total, ce sont quelque 100 millions de dollars qui ont été investis dans le marketing de Barbie. Un gros budget, certes, mais à la hauteur des ambitions des producteurs (1,1 million d’entrées en cinq jours en France et plus d’un milliard de bénéfices au box-office mondial en trois semaines). Pour finir, chaque marque présente, que ce soit à l’image ou en partenariat, se fait avec Barbie non seulement sa pub du moment mais aussi une retape de ses valeurs (jeune, hype, so fun).
  • Une “vraie” femme se définit par ce qu’elle a entre les jambes - c’est en tout cas le message qu’on emporte avec soi.

Bichon blanc et veste rose


Christelle a fait sa vie, elle a quitté le pavillon parental et troqué ses jouets roses contre un bichon blanc parfaitement coiffé. Récemment, je me suis acheté une veste d’un fuchsia pétant que j’adore, particulièrement parce qu’elle est assortie à mes cheveux.

Avec Claire, ma sœur de cœur, nous sommes sorties de la salle de cinéma dans un état morose. Hollywood a mis les moyens, Mattel se retaille un costume bien sous tout rapport. Et pour finir, Barbie est sur le point de devenir une icône du féminisme tandis que le feminism washing s’affiche, pimpant, vendant ses hoodies et ses mugs à la gloire de “Kenough”.

Finalement, on aurait peut-être été moins déprimées si on était allées voir Oppenheimer, de Nolan.

Missdynamite
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le 20 août 2023

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