Après l’immense succès des Dents de la mer en 1975, tout le monde veut sa part du requin. N’importe quel studio veut le sien, ne s’embarrassant guère de plagier le film de Steven Spielberg, ou bien proposant une subtile variation en intervertissant la menace animalière. En 1978 arrivent sur les étalages Piranhas, jouissive série B de Joe Dante, mais aussi Barracuda qui, comme son nom le suggère, a trouvé un autre poisson à dents longues comme menace.
L’équipe est réduite. Le film est produit par Harry Kerwin et Wayne Crawford, ce sont eux qui l’ont écrit et réalisé, le deuxième s’étant occupé des scènes sous-marines. Wayne s’octroie d’ailleurs le premier rôle, celui de Mike Canfield, biologiste marin, qui va tenter de dévoiler l’épandage de résidus chimiques d’une entreprise locale dans l’océan. D’abord arrêté par le shérif de Palm Cove, la petite ville en question, il va progressivement s’immerger dans la vie de cette petite bourgade, faisant la rencontre de ses différents habitants.
Bien conscient qu’il ne peut pas rivaliser avec le travail de Steven Spielberg, le film tente une autre approche, où la menace maritime sera supplantée par cette enquête sur les agissements de cette société. Ces morts, bien présentes, seront à peine montrées, quelques éclats, un peu de sang dans l’eau, pour mieux s’intéresser aux conséquences de cette liste de victimes qui s’allonge. Il ne semble tout de même en avoir toujours ainsi pendant la gestation du film, car la bande-annonce dévoile des barracudas plus agressifs, croquant à pleines dents les baigneurs, avec même une main flottant dans l’eau. Une telle effusion visuelle a disparu dans la version finale. Les effets spéciaux étaient pourtant réussis, le film semble avoir allégé sa violence en cours de route.
Ce qui semble donc intéresser le film réside dans son enquête, de ce petit secret local dont l’agressivité des barracudas n’est qu’une des conséquences, la plus visible. Mais le métrage installe différentes pistes pour l’amener vers sa révélation, parfois évidentes, parfois plus discrètes. Et d’autres fois complètement grossières, le film étant parfois détaché de toute crédibilité, tant qu’il mène sa barque. Le sous-texte écologique est un message proféré avec banalité, amoindri par le caractère de son biologiste, avec une détermination fragile car conscient de sa faible chance d’améliorer la situation. Cependant, le ton désabusé de son héros trouve un écho dans sa conclusion brutale et cynique. Au moins ce Barracuda ne cherche pas à offrir un happy end. De film de menace animalière il devient ainsi un film paranoïaque et amer.
Et c’est ainsi sur son suspense, sur cette enquête que le film peut reposer, malgré d’évidents défauts, comme ses faiblesses narratives, déjà évoquées. Ses personnages ont suffisamment de caractère pour exister, d’autant que le film s’attache à nous présenter cette petite ville et ses lieux et personnages emblématiques, parmi lesquels le shérif et son adjoint, le docteur local ou les reporters de la gazette du coin, mais aussi ceux de l’autre côté de la morale, pas forcément méchants, mais à la limite d’être dépassés par ce qu’ils ont crée. Les comédiens assurent un service généralement minimum, à l’exception de quelques uns, ce qui reste tolérable dans une telle série B. Le film accuse tout de même son âge, les rôles féminins sont accessoires, c’est une histoire d’hommes, quitte à replacer les femmes à leur place face à ceux qui savent.
Le doublage français est d’ailleurs lui aussi dans l’économie, avec quelques rôles assez platement interprétés, à l’image du shérif adjoint et de sa voix éraillée forcée, peut-être une imitation italienne enrouée, difficile à dire.
Barracuda ne cherche de toute façon pas le spectaculaire, à l’image de ses personnages assez proches de nous, sans meneurs charismatiques à la détermination inébranlable et aux dents lanches, ou de ses quelques morts assez discrètes. Il adopte un rythme assez paisible dans son montage, quitte à rallonger ses scènes les plus banales, et heureusement que régulièrement un personnage vient rappeler l’urgence de la situation ou annoncer une nouvelle mort. La tension est bien présente, mais jamais angoissante, la menace étant diluée. Les mélodies de Klaus Schultz, célèbre musicien allemand de la scène rock et électronique et de son célèbre synthétiseur, accompagnent d’ailleurs assez bien cette atmosphère.
Barracuda bénéficie aussi d’une mise en scène assez soignée, sans effets de manche, parfois plus fonctionnelle, parfois plus audacieuse, à l’image de ce plan rotatif dans le commissariat. Les scènes aquatiques de Wayne Cranford sont assez nombreuses, un petit régal, permettant de profiter de la faune aquatique de la Floride. La photographie a le cachet de ces pellicules de ces années, sans mers bleues aux couleurs surexposées, assez proche du réel, de ce qu’on peut observer en plongeant la tête sous l’eau et pas à travers un filtre d’appareil photo. L’inconvénient des années 1970, c’est qu’il faudra aussi accepter certains choix de mobilier, de vêtements ou de coiffures qui ont définitivement fait leur temps.
Il serait donc malhonnête de crier au génie pour Barracuda, bien mal assuré sur tellement d’aspects. Mais ce qui ne semblait n’être qu’un copié-collé de plus des Dents de la mer arrive à trouver un peu de personnalité, en délaissant progressivement sa menace animalière pour une enquête à taille humaine, à la conclusion désabusée. Le film est donc une honnête voire sympathique petite production indépendante, une série B à la pédale douce sur le sensationnel.