Après la conquête spatiale, les singes préhistoriques et le monolithe Noir, voici que Stanley, grand peintre du 7ème art, s'attaque au XVIIIeme siècle. Et c'est avec ce même perfectionnisme maladif qu'il aborde le sujet, sur les bases d'un Napoléon avorté et après un passage dans la démence d'Orange mécanique. Redmond Barry (Ryan O'Neal) est le témoin à lui seul de cette époque, un candide opportuniste à qui le sort réservera bien des surprises. Il endosse tous les rôles, de soldat à libertin, en passant par espion prussien, joueur de cartes, expert au pistolet ou au duel à l'épée, il est le lien qui donne un sens à cette fresque immense réunissant tous les tableaux de l’époque romantique.
L'école anglaise du romantisme sur grand écran.
Le personnage évolue au rythme de ses conquêtes amoureuses plus ou moins heureuses et des batailles. Ryan O'Neal a ce visage impassible et cette présence physique qui impose le respect. Le rythme du film est lent, posé, les scènes sont majestueuses et les plans s'enchainent avec une fluidité qui tient de la perfection, tant du point du vue du montage, ou aucune scène ne semble superflue, que du cadrage ou de la lumière. La scène à la bougie filmée avec un objectif Zeiss développé par la Nasa en est l'exemple le plus marquant. Barry Lyndon est un chef d'oeuvre de Kubrick où chaque plan est composé comme un tableau d'époque rappelant les toiles de Gainsborough, Joshua Reynolds ou encore John Constable, a tel point que des analystes y verront le Nombre d'Or s'inscrire scène après scène.
Mais c'est aussi le thème musical qui nous reste en tête, la Sarabande de Haendel qui rythme les duels et donne le La. On aime aussi fredonner cet air de flûte irlandaise dans la forêt, après avoir croisé de prétendus gentilshommes qui vous offrent un verre, ceux-ci se révèleront être des bandits de grand chemin...
"Pourriez-vous au moins me laisser mon cheval ?", "Je suis navré de vous obliger, mais des personnes telles que nous, doivent pouvoir voyager plus rapidement que leurs clients. Bonne journée, monsieur."
Duels et Décadence.
Tour à tour frappé par la tromperie ou la malchance, Redmond s'endurcira au fil du récit, pour devenir aussi fourbe que ses prédécesseurs.
Les Duels au pistolet marquent à la fois, le début de ses aventures et son déclin. De jeune homme naïf et arrogant, manquant de tuer un grotesque capitaine (Leonard Rossiter désopilant) à père adoptif cruel et apathique, corrigeant un garçon aussi fougueux qu'il le fut, il se hissera dans un monde auquel il n'appartient pas. L'aristocratie et la noblesse désinvolte des Lyndon, au masque aussi épais que l'extravagance des perruques. Son héritier ne pourra survivre, car étant lui-même une pièce rapportée. Pour Redmond Barry devenu Lyndon, qui avait survécu à tant de guerres et de déconvenues, dompté des maîtres de l'escrime (le face à face avec Lord Ludd est magnifique), l'ironie du sort et sa dignité de gentilhomme lui coûteront finalement une jambe...
Les tambours de la Sarabande frappent une dernière fois, tels les coups de bâton sur le plancher de la scène, pour terminer la représentation comme ils l'avaient ouverte. Kubrick a réinventé un pan du cinéma, nous étions à la fois au théâtre, au musée et au coeur de cette odyssée du XVIIIeme siècle !