Un dramaturge s'essayant malgré lui au cinéma dans le Hollywood bizarre et très fermé des années 40. Un ultimatum de plus en plus serré pour pondre un script sur un match de catch. Un hôtel miteux avec un voisin aussi sympathique qu'encombrant. Un producteur juif presque caricatural. Un collègue légendaire mais alcoolique et sa secrétaire plantureuse. Une étrange peinture représentant une femme allongée devant la mer. Un serial killer. Des moustiques invisibles et insistants. Le troisième film des frères Coen ressemblerait presque à du David Lynch.
Autour d'une mise en scène incroyablement maîtrisée, aux cadrages symétriques, exemplaires, au rythme soutenu, à la photographie verdâtre angoissante, à la musique lancinante signée Carter Burwell, au casting incroyable (John Turturro, John Goodman, Michael Lerner, John Mahoney, Judy Davis, Tony Shalhoub), les auteurs de Miller's Crossing délivrent un petit chef-d'œuvre boudé par le public en 1991, pourtant détenteur d'une Palme d'Or, une virée inattendue dans le monde du cinéma, un voyage cauchemardesque hypnotique, déroutant, à la limite du biopic imaginaire, du film noir et du fantastique.
Toujours prompts à mettre à profit leur humour couleur charbon et leurs personnages décalés, les deux frangins nous gratifient de séquences mémorables (mention spéciale à un baise-pied improvisé devant une piscine), de répliques gravées dans la roche, de plans majestueux (les nombreux travelings dans l'hôtel, cette peinture filmique en guise de final enflammé), ce scénario atypique happant et torturant étant probablement l’un des plus personnels qu’ils n’aient jamais pondu. Barton Fink est un rayon de soleil sublime à contempler, dangereux lorsqu’on s’y aventure de trop près, aux thématiques sombres, puissantes et invisibles, une claque méritée à laquelle on a envie de pointer l’autre joue.