Certains l’ont vécu plus qu’à leur tour, l’angoisse de la copie vierge, le blocage créatif total où la moindre anicroche est une véritable source d’emmerdes et de frustration pouvant perturber le processus de réflexion. La distraction est d’ailleurs l’ennemi n°1 de l’écrivain. Parfois une bonne introduction suffit à sortir du marasme et à éviter la démence induit par l’obsession de remplir la page à tout prix. Pour y échapper, beaucoup emploient des canevas méthodologiques qui leur permettent de rassembler les idées fondatrices afin de charpenter leurs essais comme l’on bâtirait une maison de la cave au grenier, mais pour ma part de mes années de lycées aux multiples scénarios et critiques alambiqués, je ne suis jamais parvenu à organiser mes pensées sans que cela ne ressemble à un produit formaté digne d’un chat GPT. C’est pourquoi je me suis toujours lancé au cœur du sujet en juxtaposant mes expressions, expériences, souvenirs, analyses, et recherches comme un millefeuilles parfaitement désordonné que j’essaye de rééquilibrer ensuite en paragraphe bien emballé abondant de ma passion démesuré pour le cinéma mais affichant également mon amateurisme le plus complet. Le scénario de Barton Fink résulte d’ailleurs d’une longue phase introspective de la part des frères Coen durant l’écriture de leur troisième long Miller’s Crossing. Comme chez les sportifs en proie aux doutes, il suffit « simplement » de prendre un peu de recul sur la situation, ce à quoi le duo fraternel va s’appliquer en abordant cette crise par un nouvel angle d’attaque complètement méta, afin de se plonger dans les méandres labyrinthiques de la psyché d’un scénariste tourmenté par ses aspirations ainsi que par un affreux voisin du genre envahissant dans le décor cloisonné d’un hôtel miteux dont le faste a depuis longtemps quitté les lieux.
Barton Fink est donc un auteur né, un intellectuel cynique quelque peu hautain qui dédaigne le monde Hollywoodien mais qui va pourtant céder aux sirènes des studios après avoir rencontré un franc succès grâce à sa dernière pièce de théâtre. Comme beaucoup de jeunes auteurs, le scénariste se convainc de pouvoir chambarder l’industrie en se faisant le porte voie des classes défavorisés, lui qui n’a jamais réellement côtoyé le milieu ouvrier qu’il dépeint du haut de sa tour d’ivoire, ce qui venant d’un observateur tel que moi ayant fait ses armes dans les restaurants, les chantiers et les caniveaux aura facilement le don d’exaspérer. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une question de légitimité et les affaires sont les affaires. Le patron du studio Capitol Pictures lui confit donc le soin d’écrire le scénario d’une série B sur le monde du catch dont ses seules connaissances relève de préjugés vieux comme l’institution. Forcément, la crise de la page blanche ne va pas tarder à se manifester face aux velléités artistiques de l’auteur à vouloir tout révolutionner sans même maîtriser les codes et les rudiments du genre abordé, un point commun que partage d’ailleurs plusieurs réalisateurs de la nouvelle vague d’horreur actuelle qualifié de « Elevated » par les journalistes pour la prédominance des thèmes sociologique abordés, là où John Carpenter notre père fondateur avait l’intelligence de terrer ses diatribes sous le vernis craquelé de son intrigue comme le mal niché au plein cœur de son cadre contaminant l’environnement à mesure de son avancé, comme-ci le ver était dans le fruit depuis tout ce temps. On pourra d’ailleurs citer ce dernier comme influence prédominante dans la description du Earle Hôtel, de son papier peint défraîchis et de ses couloirs qui s’étendent à perte de repère. L’atmosphère anxiogène et oppressante des lieux participent à la rapide déconfiture du personnage qui en dépit de ses tentatives de sortir de chez lui ne parviendra jamais à trouver l’inspiration quant d’autres de ses confrères se retrouvent esclave de leur condition et trouve la solution dans le fond d’un verre ou grâce à l’aide d’une muse à tout faire.
Peinant à convaincre le public malgré son hold-up au festival de Cannes 1991 qui embarrassa le comité d’organisation au point d’empêcher les cumuls de prix lors des éditions suivantes, Barton Fink dérange autant qu’il fascine la critique. Avec ce savant mélange des genres, les frères Coen se paient la tête des élites intellectuels par l’intermédiaire de ce personnage antipathique qui se revendique des « petits » dont il n’a en réalité que du mépris. S’il partage le même taudis, lui ne sera jamais qu’un touriste qui n’aspire qu’à exploiter la misère pour se faire mousser par une institution qui n’a alors que peu de considérations pour ses scénaristes et leur revendications professionnel ou artistique. Quant à Charlie Meadow le voisin jovial et bedonnant, on peut l’interpréter comme un alter égo qui ne se manifeste que pour expurger toute la frustration et la colère de l’auteur à l’égard des institutions. À mesure que le temps s’amenuise et que le décor de l’hôtel se désagrège, il disparaît avant de laisser éclater son caprice au milieu des flammes ravageant la bâtisse. C’est la fin des illusions et le couperet du studio ne tardera plus à lui tomber dessus, mais il lui restera la liberté de s’échapper par le prisme des rêves et d’un paysage artificiel délimité par le cadre d’un tableau accroché au dessus de son bureau. Quand les affres de la création mène au déni de soit même. Sa carrière restera au point mort, un peu comme la mienne.
Si toi aussi tu es un gros frustré qui en a marre de toutes ces conneries, eh bien L’Écran Barge est fait pour toi. Tu y trouveras tout un arsenal de critiques de films subversifs réalisés par des misanthropes qui n’ont pas peur de tirer à balles réelles.