Une bonne part de la célébrité du film vient des trois récompenses obtenues au festival de Cannes: le prix de la mise en scène, celui de l'interprétation masculine pour John Turturro ainsi que la Palme d'or. Si certains ont cherché en vain dans le film l'humour des frères Coen, c'est dans les conditions d'obtention des prix du festival qu'on peut le trouver. La veille des délibérations, Polanski le président du jury avait fait boire les membres du jury et les avait harcelés afin de les faire voter pour Barton Fink, et c'est ainsi que la Palme d'Or et les autres récompenses furent décernées à l'unanimité. Trois récompenses, c'est trop mais c'est raccord avec le sujet des frères Coen, après tout leur film parle des aléas du succès et surtout de l'échec.


Mais l'absurdité du triomphe à Cannes ne doit pas masquer les références littéraires ou cinématographiques que les frères Coen assemblent pour composer des atmosphères noires ou menaçantes qui correspondent à une période de doute et de remise en question après l'échec de leur film de gangsters Millers'Crossing. Le film est largement autobiographique et l'écrivain intello et torturé Barton Fink (John Turturro) est comme ses deux géniteurs fraternels (surtout Joel) face à un dilemme kafkaïen. Comment faire un film sur le syndrome de la page blanche en montrant en deux heures quelqu'un qui ne trouve rien à écrire, tout en gardant la profondeur métaphysique et surtout financière de la dimension commerciale? Le scénario, probablement écrit sans en connaître la fin, nous promène avec son auteur en quête de personnages, du labyrinthe des coulisses du théâtre anti-capitaliste à la Bertold Brecht à celui des studios de l'Hollywood du fric et des nababs, avant de trouver une issue inespérée grâce à un retournement de situation des plus inattendus.

Mais le parcours du film peut se voir à la fois comme la naissance du processus de création dans des conditions de solitude extrême et en même temps comme le développement d'une névrose paranoïaque.

En attendant que lui viennent les idées, Barton Fink vit dans une chambre miteuse ornée pour tout décor d'un tableau de femme au bord de la mer et essaie en vain d'écrire un scénario de commande sur le thème du catch. La solitude, le décor minimaliste de l'hôtel et la personnalité de son voisin de chambre vont à son insu se conjuguer pour lui faire atteindre l'inspiration, à moins qu'il ne finisse par perdre tout à fait le contact avec la réalité. Le couloir interminable de l'hôtel semble dissimuler des forces obscures, comme celui de Shining. Les absences de son voisin de chambre Charlie l'agent démarcheur en assurances sont dures à supporter. Aucune aide ne vient des personnages du milieu du cinéma côtoyés par l'écrivain qui vont se révéler systématiquement comme le contraire de leur apparence sociale. Barton Fink demande conseil à un célèbre écrivain à succès qui trompe par l'alcool son manque total d'inspiration. La secrétaire modeste qui est la compagne dévouée de l'écrivain célèbre le trompe avec Fink (en rêve ?). Le producteur enthousiaste qui a imposé Barton Fink (Michael Lerner) le déteste en fait en tant qu'homme et en tant qu'écrivain. L'argent et la l'hypocrisie règnent bien en maîtres à Hollywood (à moins que ce ne soit des conséquences des troubles du jugement de Barton Fink causés par son isolement). Seul Charlie le voisin de chambre (John Goodman) semble un homme bon, jovial et compréhensif.

Le film peut s'interpréter de plusieurs manières. Critique du microcosme hollywoodien qui met la pression sur les auteurs, charge auto-ironique contre un intello trop sérieux coupé des réalités, description de l'ennui, panne d'inspiration qui devient le sujet du film, ou biographie de scénariste hollywoodien sous forme fantastique ? On ne saura jamais vraiment ce qu'il y a dans la boîte de Pandore portée par Barton Fink.

Créée

le 27 sept. 2024

Critique lue 7 fois

4 j'aime

Zolo31

Écrit par

Critique lue 7 fois

4

D'autres avis sur Barton Fink

Barton Fink
DjeeVanCleef
10

Mon voisin Turturro

New York, 1941. Fort du succès publique et critique de son unique pièce, un drame poétique sur le monde des poissonniers, Barton Fink a le vent en poupe. Hollywood, par le biais d'un contrat chez...

le 31 mai 2014

106 j'aime

28

Barton Fink
sebero
5

Le serpent qui se mord la queue

Commençons par le positif, premièrement l’interprétation Goodman/Turturo c’est du solide. Belle performance de Goodman aussi bien crédible en gros benêt simple d’esprit qu’en tueur sans pitié tout...

le 30 déc. 2012

48 j'aime

6

Barton Fink
fabtx
7

L'Enfer d'Hollywood

Si vous aimez les films avec des fins propres et nettes où toutes les intrigues sont tranquillement résolues avant le générique, passez votre chemin, ce film n'est pas pour vous. Par contre, si...

le 12 janv. 2011

48 j'aime

Du même critique

La Vie scolaire
Zolo31
7

Wesh Moussa, j’te connais, mec de mon bâtiment !

J’ai bien failli faire l’impasse sur ce film mais nous étions le 31 août et il me restait deux tickets de cinéma à utiliser dernier délai, donc retour vers l’enfer du 9-3, bien planqué cette fois-ci...

le 1 sept. 2019

34 j'aime

10

Thalasso
Zolo31
7

Extension du domaine de la lutte par l'utilisation combinée des bienfaits du milieu marin

Le cinéma français aurait-il trouvé un nouveau souffle grâce à l'absurde ? En même temps que sort Perdrix du prometteur Erwan Le Duc paraît donc le nouvel opus de Guillaume Nicloux, Thalasso. Le...

le 21 août 2019

28 j'aime

10

Julieta
Zolo31
5

Homéopathie? Pauv' Julieta!*

Similarité, identité, conformité et similitude. Le dernier opus d'Almodovar respecte ces principes. Principe de similarité Julieta est un film sur les rapports mère - fille, comme tous les films...

le 1 juin 2016

28 j'aime

1