C'est étrange mais avant de découvrir ce Barton Fink et d'en rédiger une critique, j'essayais d'écrire quelque chose sur la série Six Feet Under d'Alan Ball. Aucun rapport entre ces deux œuvres mais Barton Fink est probablement le film le plus stimulant sur l'écriture. Donc pourquoi pas écrire une critique sur ce film si étrange ? Je me pose la question.
Et des questions justement, Barton Fink s'en pose aussi. Beaucoup. Ainsi, dès les premières secondes, les Coen nous plonge dans l'envers du décor, sous le regard stupéfait du metteur en scène, de celui qu'on ne voit pas. Le ton est donné, Barton Fink sera un film cérébral dans un univers où seul la façade, le décor, l'apparat compte. Hollywood, terrain de jeu de Barton Fink est ici une terre hostile à la création, propice à la (re)production . C'est ainsi que naît le premier paradoxe de ce film : les studios engagent des auteurs pour au final les modeler à leur guise et écarter toute personnalité, toute réflexion de leurs travaux. Bien sûr, cette idée d'un Hollywood vampirique et aliénant n'est pas inédite, elle est au cœur de nombreux films plus ou moins récents prenant place dans la Cité des Anges.
Cependant, les Frères Coen poussent cette idée plus loin. Ils créent de toutes pièces un univers faits de symboles et de métaphores, qui se croiseront pour illustrer la folie aliénante d'Hollywood sur ses créateurs. Les Frères Coen en délivre deux archétypes : celui du jeune homme ambitieux aspiré par la machine et celui de l'auteur confirmé se délitant, vidé de toute inspiration.
Puisque dans Barton Fink, tout tourne autour de cette fameuse inspiration, cette idée de création (aux origines bibliques) qui ronge l'auteur jusqu'à le pousser vers la folie.
L'illustration dans cette œuvre se fait par la création d'un univers cloisonné, dont on ne verra jamais l'entrée ni la sortie. Cet hôtel aux proportions gigantesques, aux couloirs interminables, peuplé de personnages loufoques, étranges et psychotiques apparaît d'abord comme un refuge à la superficialité d'Hollywood. On y perçoit une certaine convivialité, le voisin est sympathique, poli, bien élevé et serviable tandis que le maître d'hôtel est dévoué.
Là, où les Frères Coen parviennent à distiller ce climat étrange, c'est dans un jeu loufoque et inquiétant avec le réel. Plus l'auteur veut créer, plus il s'enfonce dans un univers dont il ne maîtrise pas les règles et dont les images se révèlent être des symboles de son impuissance (ce fameux couloir, notamment). Les Frères Coen creusent ainsi cette folie jusque dans une confrontation avec le réel, nous poussant à nous demander où se situe cette frontière entre l'univers de l'écrivain et celui des mortels (du rêve Hollywoodien au cauchemar américain). En réalité, Barton Fink puise justement son inspiration dans le réel. Ce catcheur, héros de son script, c'est son voisin, cet acteur qui joue lui-même un double jeu, agent d'assurance zélé et serial Killer fou. Lui n'est qu'un metteur en scène pris à son propre jeu, victime de ses aspirations poétiques à la fois sur le plan professionnel et personnel (rejeté par ses producteurs, soupçonné par la police). Barton Fink pourrait ainsi se résumer à un jeu, ou plutôt une quête étrange et tumultueuse où la création se mue en obsession. Si toute la symbolique de l’œuvre est complexe à analyser, les Frères Coen font co-exister deux mondes qui ne peuvent cohabiter pour illustrer le pouvoir de l'un sur l'autre.
La progression du film et du travail de Fink fait écho à un certain isolement, un renfermement aussi bien intellectuel que physique du héros, qui se révèlera incompatible aux exigences du studio.
Cet hôtel qui prend feu, ce taré sorti tout droit des flammes de l'Enfer font justement référence à ce Hollywood vampirique, terre brûlée qui vient empiéter sur la créativité et ne laisse que des cendres sur son passage. Hollywood ou l'enfer sur Terre pour un scénariste, même isolé et coupé du monde. Cette vision matérialisée par ce final brûlant synthétise parfaitement Barton Fink, à mi-chemin entre l'absurde et la folie, entre le drame profond et la satire superficielle.
Quant à cette scène finale, splendide, elle apparaît comme une libération. Première scène où l'air apparaît pur, le héros apaisé comme libéré de sa folie créatrice (peu importe que les studios aient apprécié, la quête est personnelle et intime), peut enfin regarder vers l'horizon et l'avenir.
La scène apparaît quasiment comme un rêve, un coin de paradis au milieu de l'enfer à ciel ouvert Hollywoodien, une respiration tout simplement.
En réalité, et malgré la diversité des interprétations que l'on peut faire de cette œuvre, il est difficile d'expliquer ce qui fait la beauté de Barton Fink. C'est probablement cette étonnante alchimie entre le drame Kafkaïen et la satire absurde puisant dans l'infinie créativité de l'artiste et sa confrontation face au monstre Hollywoodien, infernal et impitoyable, qui le rend si fascinant.