En 1967, Jean-Pierre Melville décide de continuer sur la voie qu'il a emprunté en 1962 avec Le Doulos en réalisant son nouveau film noir, Le Samouraï. Après avoir collaboré 3 fois avec Belmondo et pour la première fois l'année précédente avec Lino Ventura, il décide de travailler avec Alain Delon. Ce premier Delon-Melville marque aussi l'apogée du polar noir à la Melville, l'expression même du film noir français.

Légers Spoilers possibles.

Le film débute sur un plan fixe, Delon est allongé dans son lit, amorphe, il attend son heure. Tout de suite, en un seul plan, Melville impose une esthétique froide, grisâtre à son film. Le cinéaste parvient à créer une atmosphère, une ambiance en quelques plans. Car Le Samouraï se pose de suite comme un polar d'ambiance, un film d'atmosphère qui imprègne le spectateur de son ambiance mélancolique, fascinante. Melville parvient comme souvent à créer une atmosphère, à instaurer une ambiance sombre et inquiétante. L’esthétique bleutée et grise du Paris nocturne provoque une sorte d'envoûtement, mais instaure aussi de la tension et un danger permanent. Il suffit d'une note lorsque Delon sort dans la rue pour qu'une certaine forme de tension s'installe, une forme d'incertitude permanente comme si à chaque instant, la mort pouvait rattraper les personnages...

Ce qui est aussi remarquable, c'est justement cet univers que le cinéaste met en place. Un univers extrêmement codifié où la mort, la peur règnent mais surtout un univers d'hommes, de gangsters régi par un code d'honneur. Le deuxième Souffle et Le Doulos l'illustrait à merveille, et Le Samouraï pousse cela encore plus loin. Les dialogues sont rares voir inexistants (voir la scène dans le garage au début), dans cet univers une sorte de conscience commune habite les personnages, ils savent tous ce qu'ils ont à faire, tout est millimétré dans un but précis. Cette rareté des dialogues, ce minimalisme déroutant par moments pourrait atténuer l'ampleur du film mais au contraire Melville fait fi des conventions, pour créer sa propre mythologie, ainsi le cinéaste magnifie, amplifie chaque regard, chaque geste, et les filme avec un soin impressionnant, un univers où les regards et la minutie des gestes en disent plus que des lignes de dialogues. A ce titre, la performance d'Alain Delon est stupéfiante. Mutique, taiseux, froid il dégage un magnétisme, une fascination inexplicable, Melville le filme constamment dans sa position hiératique, imper blanc et chapeau noir/gris vissé sur la tête. Le cinéaste crée sa propre mythologie inspiré du film noir américain et crée ici un personnage mythologique de tueur froid, appliqué, sans pitié. Toute là force et le brio de Melville sont là dans l'ampleur qu'il donne à ce personnage, dans l'univers plein de détails qu'ils crée, dans la personnalité qu'il donne à ses films et dans l'ampleur que ses personnages prennent.

Ce que l'on retrouve aussi constamment chez lui, c'est la force que dégagent les personnages. Tous sont habités par une conviction et une volonté infaillible. On retrouve cela des deux côtés, l'obstination de Périer crève l'écran à chaque instant (comme lors de la confrontation avec Nathalie Delon), la guerre des nerfs qui s'installe se transforme en une véritable chasse à l'homme impitoyable. Delon est lui aussi fantastique dans la droite lignée du gangster chez Melville, comme Ventura et Belmondo avant lui, il incarne le gangster méthodique, froid et habité par une volonté hors du commun, mais aussi par une fatalité, une résignation car il est conscient comme l'est le spectateur qu'à chaque instant sa vie peut basculer. Cet antagonisme, cette rivalité donne évidemment lieu à des scènes fascinantes comme cette confrontation où Delon ment avec une conviction si forte que l'on arriverait presque à le croire où encore lors d'une poursuite d'anthologie dans le métro, une scène d'une maîtrise impressionnante, un véritable jeu de piste souterrain. On retrouve ici et comme toujours chez Melville cette fatalité, cette finalité tragique, ces destins qui se scellent dans le sang et la mort.

Le Samouraï est également un film sublimé par une bande-originale de grande qualité, envoûtante et émouvante. Le travail de François de Roubaix distille cette part de mélancolie et d'émotion nécessaire qui contraste avec la froideur et l'esthétique du film. Une esthétique grisâtre, épurée possédant des tons bleutés (comme dans Le Cercle Rouge), un très beau travail d'Henri Decae à la photographie qui donne au film cette froideur à la fois inquiétante et mélancolique. Et évidemment, il faut souligner la réalisation de Jean-Pierre Melville d'une sobriété et d'une élégance folle. Une réalisation sans fausses notes, de très beaux travellings (comme dans le club de Jazz au début) qui magnifient le film et surtout une utilisation remarquable de la lumière donnant lieu à des jeux d'ombres fascinants, cette qualité étant récurrente chez Melville (L'armée des ombres en est le meilleur exemple).

Le Samouraï est donc une formidable expression du cinéma de Jean-Pierre Melville, cinéaste passionnant qui navigue ici entre inspirations personnelles et références au polar noir américain tout en arrivant à créer son propre univers et sa propre mythologie. Un film qui en plus d'être une magnifique et synthétique représentation du polar "Melvillien", est également un fascinant polar noir, une chasse à l'homme funeste dans un envoûtant Paris nocturne sillonné par la silhouette du magnétique Alain Delon.

Mon Melville préféré.
Ma liste rétrospective sur ce grand cinéaste : http://www.senscritique.com/liste/Jean_Pierre_Melville_ombre_et_lumiere/578753
SpaceTiger7
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le 20 oct. 2014

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