Ce premier volet des aventures de Batman sous l'égide de Tim Burton, alias le maquettiste chevelu gothique, fut une vraie arlésienne, avant de devenir une œuvre culte faisant de l'Homme chauve souris un personnage bankable!
Entre les différentes réécritures (une des premières moutures du script devait notamment introduire le personnage de Robin le garçon prodige, !), entre les désaccords entre Burton et les studios sur la vision à adopter pour traiter cinématographiquement le personnage- notamment la premier version du script jugée trop "camp" par le réalisateur- entre le choix de son acteur principal, qui valut à l'équipe de recevoir des menaces de mort des fans de la première heure du chevalier noir, et les soucis avec plusieurs acteurs sur le plateau, le projet fut assez laborieux dans sa conception.
Cela n'empêcha nullement le film de connaitre un succès retentissant, notamment grâce à la campagne publicitaire pharaonique qui l'accompagnait. Véritable bombe médiatique à sa sortie, le film séduisit un large public, en général peu familiarisé à l'Univers des comics!
La mort lui va si bien
L'as dans la manche du long-métrage tient bien entendu au choix de l'énorme Jack Nicholson en tête d'affiche, qui imprègne le film de toute sa folie destructrice! Si les fans, toujours prompts à fustiger les décisions artistiques, pouvaient craindre que le film n'aseptise le personnage du Joker, afin de le rendre grand public, sa scène d'introduction aura tôt fait de les détromper. Burton laisse toute latitude à son interprète en lui permettant de jouer la folie de manière magistrale. Ce Joker est véritablement terrifiant, bien loin de la version de la série de Martison, j'aurais même tendance à dire qu'il inquiète plus que celui d'Heath Ledger (histoire de remettre une couche sur ma critique de Dark Knight!). Plus sérieusement, ce Joker opte pour une attitude classe et raffinée, et une garde-robe bariolée, que vient gâcher son sourire macabre, créant une sorte de malaise, d'inquiétante étrangeté! De même, la back-story du personnage est, elle aussi, bien gérée... Alors que d'habitude, les scénarios hollywoodiens m'énervent à vouloir expliquer CHAQUE trait de personnalité, même ceux de faible importance, Batman donne juste ce qu'il faut pour rendre le Joker intéressant à suivre sans trop en dévoiler! Ce dernier suit un chemin similaire à celui de Jack Torrance, dans Shining. Présenté comme une sorte de truand sans grande envergure, piégé par son patron vrai chef de gang, il n'est révélé qu'après sa transformation l'engeance démoniaque dissimulée en cet homme, chimiste mégalomane doublé d'un véritable anarchiste sadique et sanguinaire! La grande force de ce personnage est d'être imprévisible (à l'image du film). On ne sait jamais sur quel pied danser, car les scènes le concernant peuvent être comiques, effrayantes ou fantaisistes. Un très bon choix de casting, pour un très bon personnage.
Gotham gothique.
Un autre très bon choix est d'avoir fait de Gotham city une ville à l'architecture gothique, qui n'est pas sans rappeler les classiques du cinéma expressionniste allemand. Cette vision était déjà en germe dans les comics, mais le film magnifie cette représentation! Les décors d'Anton Furst sont monumentaux et la caméra virevolte entre les différents immeubles. Cette esthétique iconise instantanément la chauve souris géante, ce vengeur de la nuit insaisissable. De plus, ce choix s'inscrit parfaitement dans la volonté de traiter Bruce Wayne comme un schizophrène paranoïaque, un monstre assoiffé de vengeance et désespérément solitaire.
Ce travail esthétique combiné à la bande son onirique de Danny Elfman fait de Batman un pur produit "burtonien".
Du carnaval à la bouffonnerie.
Car il faut bien aborder les défauts: ce film est parasité par son marketing! Pas seulement durant les "instants Prince" qui n'ont d'autre buts que de nous faire acheter l'album du film. Non, tout le film, j'entends! Que ce soit les séquences dans lesquels le Joker se met en scène, dans des spots TV, les gadgets (très bien faits au demeurant) qui sont utilisés un peu n'importe comment- surtout le bat plane qui finit par se cracher dans un des moments les plus discutables du film, ou encore les motivations du Joker qui ne se contente pas d'assouvir sa mégalo, mais organise toute une parade avec ballons toxiques et sbires hauts en couleur! Alors, certes, c'est cohérent avec ce personnage, mais c'est quand même forcé dans un cadre purement dramaturgique... Conséquence de tout ça: les autres personnages font office de figurants, que ce soit Gordon, Harvey Dent... Ou Batman lui-même. Car Michael Keaton a beau être le choix idéal pour porter à l'écran toute la complexité d'un tel personnage, le métrage ne lui donne que peu de moments pour briller (on retiendra quand même son introduction, ou la scène, extraordinaire de bout en bout, durant laquelle Bruce et le Joker ont une interaction sur le fil, sans savoir que les deux ont chacun une raison de tuer l'autre!). Malheureusement, notre chauve souris préférée ne se contente que d'agiter ses ailes et ses grappins la plupart du temps! Même la romance avec Vicky Vale, sobrement incarnée par la sculpturale Kim Bassinger, est progressivement délaissée alors que c'est l'un des enjeux majeurs du film, donnant plus de relief au personnage de Bruce et à son fidèle majordome Alfred Pennyworth. Cela est d'autant plus dommage que le long-métrage aurait vraiment gagné à creuser la dualité Joker/Batman à partir de cet élément scénaristique... Bonne idée restée au stade d'idée!
Conclusion
Batman est une œuvre imparfaite en raison de volontés incompatibles, mais demeure une révolution dans la manière de traiter le super-héros au cinéma. Visionnaire, Tim Burton a su tirer parti de multiples talents et tenir bon face à l'avidité de ses producteurs, nous laissant un produit éminemment sympathique et artistique.