Presque 30 ans après sa sortie en salles, ce (désormais) classique du film de super-héros (voir du cinéma tout court) demeure encore et toujours du grand art.
A l'époque vendue comme la production américaine la plus chère de son temps (50 M$), ayant bénéficié d'une énorme et tonitruante campagne promotionnelle à faire pâlir le moindre film "Avengers", "Batman" aura avant tout réussi l'exploit de s'imposer comme l'un des films les plus attendus du moment.
Et pourtant, rien n'était gagné d'avance. Ayant osé le pari de confier son film le plus coûteux à un jeune réalisateur encore peu (re)connu à l'époque (l'introverti et gothique Tim Burton), qui s'est lui-même battu pour imposer un comédien très peu familier des films d'action (le "comique" Michael Keaton), la Warner aura quasiment misé toutes ses cartes sur cette première véritable adaptation (en ne tenant pas compte du film dérivée de la série télé "Batman" de 1966 avec Adam West) du ténébreux Chevalier Noir.
Bien lui en a pris, tant le succès (tant critique que commercial) sera au rendez-vous et permettra d'ailleurs au dénommé Tim Burton de s'imposer rapidement comme un auteur à suivre et comme le très grand créateur et cinéaste qu'il demeure encore aujourd'hui.
Sinon, "quid" du film en lui-même ?
Eh bien, en évitant toute forme de "fanboyisme" ou de vague sentiment subjectif, ce "Batman" premier du non est (et demeure encore et toujours) une réussite sous (presque) tout rapport.
Ayant pris le parti d'ancrer son film dans une profonde noirceur tendance néo-gothique et funèbre, Burton s'éloigne volontairement du "parfait film familial" vendu par les publicitaires et autres promoteurs.
Sans pour autant verser dans une atmosphère pessimiste finie à la Nolan (dans le bon sens du terme), ce premier opus des aventures de l'homme chauve-souris ne respire pas non plus la joie de vivre, insistant d'ailleurs énormément sur la psychologie tourmentée de Bruce Wayne/Batman, interprété de manière sobre, calme et mystérieuse par Michael Keaton. Evoluant seul tel un animal solitaire dans un environnement noir et coupé du monde (le manoir), paraissant perturbé dès qu'une personne le questionne sur son nom ou sur les origines de sa famille, Bruce Wayne, montré par Burton apparaît comme un homme profondément affecté, meurtri et blessé, auquel l'image publique de "riche play-boy festif" sert avant tout de couverture, de facette.
Cette vision de héros tourmenté par ses démons du passé qu'il ne peut pas oublier va à l'encontre des canons classique du cinéma de divertissement hollywoodien classique et montre déjà l'intérêt de Burton pour les "héros" marginaux, paumés, exclus pour une quelconque raison.
D'un autre côté, telle la seconde facette d'une même pièce, le Joker, soit l'ennemi intime, le double maléfique de Batman, celui qui, dans un pur esprit de provocation, s'amuse à jouer l'inverse de celui-ci. Faisant tout pour se faire remarquer (à l'inverse total de Batman), constamment en train de rigoler et habillé de manière très coloré, le Joker version Burton s'impose en quelque sorte comme le "moi" refoulé, celui que le héros, même s'il le souhaitait, ne pourrait jamais devenir. Incarné par un Jack Nicholson en très grande forme et à l'énergie sur-développée, le Joker s'impose comme un méchant d'anthologie, celui que l'on adore détester et qui ne peut s'empêcher, malgré ses méfaits criminels, de nous faire rire. Crevant littéralement l'écran à la moindre de ses apparitions, le Joker impose au film un degré de folie supplémentaire qui suffit à enterrer définitivement la mention "film pour toute la famille".
L'une des grandes qualités de ce film réside dans la capacité de Burton à avoir réussi à créer (et ce malgré les nombreux différents artistiques auxquels il a dû faire face au moment du tournage) ce qu'il souhaitait, à savoir un duel d'ego, de personnalité abîmés, défigurées par l'acide ou par une tragédie familiale moralement insurmontable, dans lequel le Bien (vêtu pourtant de noir des pieds à la tête, peu souriant, taiseux et monotone) et le Mal (délirant, festif, constamment de bonne humeur, coloré) s'affronte dans un décor triste et profondément tragique (rarement Gotham City n'aura été montré de manière si poisseuse et noire), le tout renforcé par une partition à la fois chevaleresque et mélancolique magnifiée par le maestro Danny Elfman, désormais attitré "compositeur fétiche" de ce cher Tim.
Malgré le temps qui passe et les multiples autres adaptations ayant suivies ou à venir, pour le pire ("Batman forever", "Batman et Robin"), comme pour le meilleur (la trilogie "Dark Knight") et le futur "The Batman" que prépare actuellement l'acteur-réalisateur Ben Affleck, ce "Batman 1er du nom à la sauce Tim Burton demeure encore et toujours un spectacle de très haut niveau, servi par de très bons comédiens (mention spécial au génialissime cabon Nicholson), par des scènes d'actions bien fichues pour l'époque, et par des envolées grotesques (la jubilatoire séquence du musée de même que les meurtres commis par le Joker) et lyriques que peu de films de super-héros de l'époque actuelle arrive en transcender.
Presque 30 ans après sa sortie en salles, encore et toujours du grand art, donc, et l'un des premiers coups de maître du grand Tim !