La franchise Batman au cinéma révèle, rétrospectivement, une cartographie assez symptomatique de l’histoire du blockbuster. Alors que Tim Burton y fait ses armes et parvient à conjuguer les exigences de la grosse machine avec les codes graphiques de son propre univers, Warner Bros. se montre plus gourmand et cherche à ratisser large en faisant appel à Joel Schumacher qui fera sombrer la série dans les enfers du kitsch puéril avec les très piquants Batman Forever et Batman et Robin.
La gueule de bois qui s’en suit permet de changer de décennie, et d’augurer le règne d’un nouveau patron en la personne de Christopher Nolan. Après les remarqués Memento et Insomnia, le petit prodige va s’emparer de la chauve-souris pour une trilogie qui va, sur bien des points, réconcilier public et critique.
Comme il est de bon ton de le faire lorsqu’on prend le relai, Batman begins entend faire table rase du passé, l’origin story étant l’option idéale. Tout l’oppose ainsi à ce qui précède : là où l’on multipliait les méchants et les acolytes dans une ville saturée jusqu’à la nausée, Nolan va jouer l’épure dans un univers sombre et introspectif, expliquant le parcours douloureux d’un orphelin milliardaire en mal de légitimité ; l’initiation New Age que ne renierait pas un film de kung fu occasionne un long prologue qui sait mettre en place une véritable attente pour les amateurs venus en découdre avec Gotham et les costumes à gadgets.
La mise en place est donc véritablement savoureuse, que ce soit dans cette obscure mise en valeur d’une nature hostile où la roche noire et la glace bleutée exacerbent les démons intérieurs de l’initié, ou l’arrivée sur le manoir gothique où les seconds rôles (Michael Caine et Morgan Freeman, délicieux) ajoutent une patte et une chair jusqu’alors inédite dans l’univers du justicier. Nolan prend ses quartiers et fait siens des codes (la ville comme un personnage, les gadgets expérimentaux) à travers une mise en scène précise, architecturale et ample, un discours volontiers technique et scientifique pour quitter la dimension conte et comics originelle. Autant dire que les retrouvailles ont du bon pour les amateurs et un public qui apprécie de constater qu’on s’adresse aux plus de 12 ans.
Reste à écrire une intrigue propre à cet opus, et c’est malheureusement là que la mécanique s’embourbe. On ne saurait entièrement reprocher au film de suivre le cahier des charges du blockbuster (méchant avide d’anéantir entièrement la ville, mise en danger de la femme aimée, etc.) puisqu’il s’agit là de son ADN, mais les promesses de singularité sont un peu douchées dans ce final grandiloquent et assez laid visuellement, où la vitesse, la destruction massive et les punchlines poussives forment un cortège qu’on aurait espéré plus allègre.
Il n’empêche : le ton est donné. Nolan, à l’image de Bruce Wayne, s’initie sur la durée. Un détour par la magie manipulatoire du Prestige lui permettra d’affiner sa patte avant le morceau de bravoure que sera le sommet de la franchise, The Dark Knight.
(6.5/10)