Les plus anciens s'en souviendront peut être : une étrange maladie s'était déclarée en plein été 1989. Elle s'appelait la Batmania. Même en France... Même si certains magazines papier tel que Première estimaient qu'il y avait derrière ce phénomène un film, disons," pas très bon". Ce qui ne les empêchaient nullement, cependant, d'en faire leur couverture, sur le mode "pourquoi vous n'y échapperez pas", et accessoirement leur miel. Il n'y a pas de petits profit après tout. Et surtout fort peu de honte et d'hypocrisie quand il s'agit de vendre sa soupe.


Tout cela pour dire qu'après une telle fièvre, celui que l'on n'appelait pas encore Le Chevalier Noir ne pouvait que revenir rapidement sur les écrans. Comme après l'été ne pouvait que venir l'hiver.


Il paraît que la Warner était étonnée, pour ne pas dire horrifiée, devant ce que Tim Burton lui avait concocté en guise de seconde plongée dans les ténèbres de Gotham City. Qu'attendait donc le studio de son poulain, disposant cette fois-ci d'une liberté artistique totale et enfin débarrassé des contraintes imposées par le producteur Jon Peters sur le premier opus ?


Elle attendait tout simplement une suite. Sauf qu'avec Batman : Lé Défi, Tim Burton a réalisé tout, sauf une suite. Perdue entre le conte macabre et le film de Noël dont l'aspect familial est irrémédiablement perverti et torturé. Car avec les premières minutes, balançant entre la dérision, le relecture noire biblique et la cruauté toute gothamienne d'une acte d'abandon, Le Pingouin s'impose comme le personnage tragique central d'un horrible conte désespéré, inscrit dans une quête impossible de son humanité perdue.


Puis il y a Bruce Wayne, introduit dans une pose follement iconique dans son bureau nimbé de ténèbres, pensif et plus que jamais seul, comme si sa seule raison de vivre était d'attendre l'apparition, dans le ciel, d'un bat-signal libérateur pour lâcher prise sur sa véritable personnalité et son animal totem.


Enfin, il y a peut être le personnage le plus marquant de cet opus, évoluant de secrétaire godiche touchante de maladresse à femme fatale ultime tout aussi dérangeante que transgressive dans sa sexualité agressive. Une mutation à laquelle la sublime Michelle Pfeiffer sera attachée à jamais, vampirisant littéralement Selina Kyle pour l'éternité et condamnant ses futures incarnations à une certaine forme d'anonymat malheureux. Inscrite dans une inédite et hallucinante trinité monstrueuse dans l'univers de Batman, c'est elle qui vole littéralement le film.


Car comment ne pas se souvenir de la séduction qu'elle emploie pour amadouer Le Pingouin, lascivement étendue sur son lit, ou gobant un oiseau vivant ? Comment oublier cette romance terriblement poignante puis ce baiser avec Batman se transformant en intense séance de léchage de museau ? Et enfin, comment ne pas frissonner quand elle évolue telle une gymnaste, manie le fouet avec dextérité pour mieux défier les carcans de sa condition et miaule de plaisir avant de faire sauter un magasin ?


Tim Burton brouille les frontières entre les identités, fait tomber les masques et organise un véritable bal des névroses et des refoulements condamnant ses héros à une éternelle solitude. En brisant au sol le miroir qu'il tend à chacun de ses personnages et les renvoyer à leur solitude sans issue. Sans jamais pouvoir être sauvés.


Tout cela animé par dans les sublimes décors d'une Gotham indifférente au sort de sa population, plus que jamais drapée dans la neige de sa grandeur expressionniste tout aussi impressionnante que sinistre, ou encore l'intense mélancolie que dégage l'ensemble une fois le mélange d'émerveillement initial, d'incrédulité et d'inquiétude sourde dissipé... Et surtout, par cette musique iconique et à nulle autre pareille conduite par un Danny Elfman en état de grâce et au sommet de son talent.


Si le succès est encore une fois au rendez-vous, et si le film s'impose comme une incroyable oeuvre belle et grandiose, Warner ne pardonnera jamais à Tim Burton la trahison que constituait à ses yeux Batman : Le Défi. Car cette suite se montre tout simplement trop adulte, trop flippante, trop radicale et sabordant la lucrative vente des traditionnels produits dérivés. En guise de punition, le studio l'éjectera tout simplement des suites envisagées, plus colorées et inoffensives, et tuera dans l'oeuf un projet centré sur l'incendiaire Catwoman. Comme si Warner voulait s'assurer que ce sale rejeton dégénéré et incontrôlable ne puisse avoir aucune pérennité. Mais il n'a cependant jamais pu empêcher Batman : Le Défi d'imposer sa formidable personnalité, son esthétique trouble et le piratage de sa formule blockbuster dans un geste de contrebande sidérant de poésie étrange...


Et d'accéder au statut de film culte.


Behind_the_Mask, la vie privée des animaux.

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il y a 20 heures

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