Tandis qu'on regardait le film Batman de 66 il y a quelques mois, une amie me disait avec regret qu'on ne pouvait plus faire de Batman kitsch et second degré comme celui-ci. Que le personnage ne pouvait plus être conçu par les réalisateurs et les fans autrement que comme un héros torturé dans une ville sombre. Mais cet ancien Batman n'est manifestement pas la vieillerie que l'on planque sous le tapis par honte, DC assume son patrimoine et lui offre un beau cadeau pour ses 50 ans avec la sortie de ce DTV animé. Batman : Le Retour des justiciers masqués fait revenir Adam West (88 ans) et Burt Ward (71 ans) dans le Duo Dynamique comme si rien n'avait changé depuis le dernier siècle, et nous embarque dans un hommage aux grosses onomatopées, aux plans diaboliques, aux Deus Ex Machina invraisemblables et aux héros droits dans leurs Bat-bottes.


Toute la recette de cette époque lointaine est préservée. On pourra s'inquiéter au début d'avoir une simple copie du film de 66 : on retrouve les énigmes du Sphinx qui réutilisent sa fameuse logique, les bagarres ponctuées de KER-PAWN ! qui se renouvellent peu (mais qui sont faites dans le style anti-frénétique d'époque, qui se fait trop rare de nos jours), le mot "Bat" se trouve un peu trop facilement collé à tout et n'importe quoi (mais parfois avec succès !) et les héros sont baladés à droite-à gauche, faisant craindre un film qui tournerait en rond ce qui est parfois le cas. Mais la première chose qui frappe, c'est le respect du style original : on n'a pas affaire à une parodie grasse, l'équipe créative reprend ce style avec un aplomb exemplaire, faisant confiance au public pour accepter le parti pris de nanar volontaire que possédait déjà la série de 66. Et si le film est truffé d'hommages, ces derniers ne bloqueront pas le néophyte qui ne sentira pas forcément les références lui passer sous le nez. Il a surtout le grand mérite de mettre de côté à mi-parcours la formule banale de la série télé (Batman va voir les méchants / bagarre / piège mortel pour Batman qui s'en sort / Batman se remet à la poursuite des méchants) pour sauter à pieds joints dans un grand délire typique du Silver Age, se permettant de toucher au mythe de Batman sans que cela ne fasse tache. On change alors des codes, on fonce dans une idée débile mais très drôle, ça permet au film d'exister par lui-même sans passer pour un remake. Je vous recommande d'ailleurs de ne pas lire le synopsis.


La seule différence avec le long-métrage d'origine réside dans son rythme bien plus effréné, ce nouveau film ne durant que 1h15 bien remplies. Les répliques sont savoureuses et très bien traduites en français : entre les blagues tantôt consternantes et tantôt bien trouvées qui prennent par surprise, les références impromptues et les discours moralisateurs passionnés, on se marre bien entre potes pour peu qu'on soit dans le bon état d'esprit. Le dessin lui-même est simple (arrière-plans vides, animations fonctionnelles) sans être désagréable, avec parfois une mise en scène appuyée par de gros sabots, mais au moins présente et parfaitement dans le ton. On a passé beaucoup de temps à mettre le film en pause pour profiter des détails, c'était très ludique et rien que pour ça le DTV était le bon format.
"Eh il y a un panneau au bout du tunnel qui est passé pendant une seconde, on revient en arrière je veux voir la connerie écrite dessus !"
"Wow, vous avez vu le faux-raccord ?"
"Le logo de transition a changé en accord avec ce twist ! MISE EN SCENE !"
"Cette animation, c'est exactement la même que quand ils grimpent un mur avec le grappin."
"Genre la station spatiale elle a des minarets, parce qu'elle a été faite par des RUSSES !"
"Pause, matez moi la moue de Robin en fond pendant que Batman se fait draguer."
"- Pourquoi Catwoman n'a plus son masque ? - Parce que ce n'est plus une méchante. - Ohhhhhh.... MISE EN SCENE !"


Pour les voix, vous avez le choix entre deux expériences bien différentes. La VO vous permet de profiter des voix de Adam West, Burt Ward et Julie Newmar (la première incarnation de Catwoman dans la série télé, avant son remplacement par Lee Meriwether dans le film et par Eartha Kitt dans la saison 3). Les fans qui ont grandi avec la VO seront sans doute aux anges de retrouver ces comédiens, la plupart des autres étant hélas décédés (c'est sans doute pour ça que le Joker n'a plus la moustache que portait Cesar Romero sous sa couche de peinture, et c'est sans doute aussi la raison de la mise en valeur de Catwoman). Mais les fans français ont surtout vu la VF, et non seulement ils ne profiteront pas des voix de leur enfance mais surtout ils devront se faire à l'idée de héros dont le timbre sonne bien plus vieux que leur design. Burt Ward s'en sort très bien dans le rôle du Jeune Prodige avec son ton cartoonesque. Mais Adam West et surtout Julie Newmar ont les cordes vocales qui tremblent, pour une sex-symbol ça fait un décalage cocasse mais quand même dérangeant. C'est d'ailleurs drôle quand Catwoman se déguise en dame aux cheveux gris, Julie Newmar force sur sa voix pour jouer quelqu'un qui joue une femme plus âgée, c'est de l'absurde poussé jusqu'au bout. En VF les doubleurs originaux ne sont plus là pour continuer. Jacques Ciron est fidèle à son poste pour jouer Alfred, même si ce n'était pas encore lui en 66 c'est bon de continuer de l'entendre dans ce rôle. Les nouvelles voix font parties de celles que l'on entend un peu partout dans le doublage français (Emmanuel Jacomy, Sébastien Desjours, Françoise Cadol, Marc Saez etc), mais elles sont parfaitement dans le ton. Les comédiens n'essaient pas de paraître avoir l'âge des vénérables interprètes originaux et ce n'est pas plus mal. Au lieu de ça ils jouent à fond sur la carte des élans héroïques délicieusement désuets, comme des personnages des années 60 qui se prendraient au sérieux. L'amateur de nanars, volontaires ou non, se régalera de ce jeu emphatique en français. Alterner la VF et la VO permet de redécouvrir le film.


Batman : Le Retour des justiciers masqués est une madeleine de Proust pour les amateurs d'un Batman humoristique sans tétons moulés sur son costume. L'esprit de l'époque se retrouve, les blagues sur les personnages sont drôles sans les moquer, on sent un profond respect pour le matériau de base. En 1h15 on s'amuse sans trop réfléchir à ce qui passe sous nos yeux et on sur-réagit certainement à beaucoup de choses. Je suis persuadé qu'il y avait moyen de faire encore plus fou, que certains passages n'étaient pas si bien exploités que ça, mais on s'en fichait sur le coup. Le Batman de 66 est de retour, il a donné ce qu'on voulait, on a passé une bonne soirée. Par contre le voir tout seul doit être vachement moins bien.

thetchaff
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le 14 déc. 2016

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