« Toi, tu nous fais très peur, mais lui il nous terrifie. » Ces mots sont ceux de la pègre de Gotham, avec laquelle le Chevalier noir lutte pied à pied depuis toujours. Ils renvoient au caractère dual de The Killing Joke : un justicier masqué scrupuleux opposé à un tueur fou au sourire carnassier. Deux entités contraires réunies à la faveur d'un combat éternel. Batman a beau le regretter, les faits sont là, incontestables : lui et le Joker se connaissent peu, mais se haïssent tant.


Adapté d’un best-seller, cet animé sombre et anxiogène mêle deux niveaux de réalité entre lesquels tout l'ADN du Joker circule : on devine, par des flashbacks exposés en montage alterné, que la peine et l'humiliation donnent corps à la haine, que l'humour de bas étage promeut une folie inexpiable. Les images de Sam Liu ne sont pas seulement désespérées ; elles portent en elles la terreur séminale du pire ennemi de Batman, celui qui échoua lamentablement dans une carrière de comique, celui qui perdit sa famille dans un banal accident domestique, celui qui désormais cherche à répandre la tragédie de seuil en seuil, comme si elle s'imposait comme une seconde nature.


On a parfois décrit la première partie de The Killing Joke comme un poids mort, une sorte de prologue boursouflé et dénué d'intérêt. C'est pourtant là que se posent les principaux jalons dramatiques du récit : le Chevalier noir s'y entiche de Batgirl, qui n'est autre que Barbara Gordon, la fille adoptive du célèbre commissaire. Tout au long des vingt premières minutes, la jeune femme, dans un même mouvement, va s'échiner à s'affranchir du joug de Batman tout en l'impressionnant, jusqu'à ce que le Joker et ses sbires la rendent paraplégique, point de bascule donnant sa pleine mesure dans le second acte.


Batman et le Joker seraient-ils simplement deux hommes déterminés à ronger le même os ? Pris dans une double contrainte – la nécessité de venger Barbara et la volonté d'arrondir les angles avec le Joker –, le Chevalier noir va finalement chercher à pactiser avec son adversaire, accréditant une allégation déjà ancienne, celle du double maléfique, qui s'appréhende d'autant plus facilement que les deux personnages semblent pareillement hantés par un passé douloureux. Le final de The Killing Joke, très réussi, laisse cependant la pax en suspens, dans un parc d'attractions aux allures de foire aux monstres, tellement fidèle aux représentations inquiétantes qu'enferme la figure, excessive et furieuse, du Joker.

Cultural_Mind
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le 3 mars 2017

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