Critique d'après-film.
Beau is afraid n'est pas seulement un film sur un mec qui a peur de jouir parce qu'il a peur de sa mère. C'est pas seulement l'histoire d'un mec qui a raison d'avoir peur parce qu'il est prisonnier du ghetto puis prisonnier du confort et de l'apparente bienveillance bourgeoise puis prisonnier du spectacle. Enfin si, mais bien raconté.
Beau a peur, il est à secouer, c'est fesses sont à botter.
Mais Beau a raison d'avoir peur. Chaque tentative d'agir de son propre choix est punie par le destin (par sa mère, nom de dieu, il est tellement conditionné que sa mère dirige son destin, qu'elle le veuille ou non). Il y a quelque chose d'un livre de Douglas Kennedy dans Beau, dans cette incapacité au bonheur qu'il a, que ce soit en s'empêchant lui-même de jouir qu'en se prenant des retours de bâtons par le sort (et la dépression qui s'ensuit), mais sans la recherche de rédemption.
Beau il a du Lynch en lui, c'est sûr. Dans son rapport au spectacle et aux autres dans le spectacle (les plans de la mère et du psy, proches rendus autres par le cadre et la lumière, nous Lynchent forcément le nerf optique). Et... les femmes.
À ce sujet, contrairement à Lynch, il semble qu'Ari Aster ne soit pas iconoclaste. La femme névrosée, la femme manipulatrice, l'ado suicidaire et hystérique, la mère étouffante sont des représentations datées, que certes il fait sienne mais qui ne sont ni entachées ni même questionnées. En plantant brillamment dans nos subconscients ces icônes si difficiles à briser, il les raffermit et les vernit.
Car si Beau est si Afraid, c'est quand même beaucoup la faute des femmes. De sa mère, avant tout, oui, mais par extension, des autres femmes aussi. Même quand l'une pénètre dans sa vie pour enfin l'irradier d'un possible moment d'extase, c'est avec des vapeurs de Femme Fatale et l'extase est punie par l'absurdité du sort. C'est après cette audace égoïste que la mère, démiurge oppressante qui a ouvert le film invisible puis s'est faite absence béante, apparaît enfin. La peur de l'extase est alors à son comble et Beau peut enfin faire surgir le refoulé, dans le grenier, sa virilité monstrueuse et s'y confonter un peu.
(Un peu dommage de réduire Denis Ménochet à sa plus simple expression, mais qu'elle est intense, cette épure de Ménochet!)
Finalement, qu'a-t-il à nous dire ce film, à propos de Beau, ce mec seul et égoïste, ce pauvre qui veut s'échapper d'une caricature de quartier à haute criminalité (dirons-nous) pour découvrir en allant enfin chez sa mère qu'il a pété dans la soie et dans une affection suffocante toute sa vie, jusqu'à se faire enfermer loin des tentations ? Si, à son tribunal, la défense peine à se faire entendre, est-ce à dire qu'il nous faut écouter les peurs de ce petit privilégié prisonnier de l'affection d'une femme avec trop de pouvoir et donner raison à ses soucis psychanalytiques (de privilégié) basées sur des archétypes féminins arriérés ? Ou bien est-ce à dire que certains d'entre nous avons toujours quelque chose à régler avec ces stéréotypes ainsi qu'avec le monstre viril du grenier ? et que nous devons traiter ces peurs avant de les condamner, comme tente de le dire le lointain avocat (et le titre, peut-être) ?
Cette question est un problème. Elle donne à cet aspirant chef-d'œuvre ce petit trop qui nous perd alors que le récit était limpide. Oui, cette narration singulière est magnifique, brillante, le moindre détail est signifiant, la moindre milliseconde de silence alourdit les non-dits. Le moindre choix de décor plaçant le film dans une esthétique ou une autre. Beau is afraid est ancré dans le cinéma, il est fait de ce qui a été fait. Mais Beau is afraid n'emprunte pas, il ne copie, pas, il ne cite pas, il ne pastiche pas. S'il Lynch un peu, c'est que ses thématiques l'y obligent. Il n'est jamais provocateur jamais outrancier, surprenant et étrange mais jamais loufoque, grave et profond mais souvent drôle et tripote le burlesque. Il est élégant, peut-être trop, ce qui fait de Beau is Afraid un véritable film d'auteur, au sens presque cliché du terme.
La petite réserve de bémols vient de là.
Il est facile pour le cinéphile d'aimer les grands airs d'auteur lorsqu'ils s'emmitouflent dans le genre (Heredity), même si c'est pour le renverser (Midsommar). Mais lorsqu'il n'y a plus de cadre délimité, plus de codes pour nous indiquer la suite ou un axe de lecture, l'auteur apparaît alors tout entier, ce qui est aussi audacieux que risqué.