Beau Travail est un film qui impressionne d’abord par son esthétique. L’image d’Agnès Godard est absolument magnifique. Elle nous immerge avec beaucoup de poésie et de force dans des univers peu connus, la légion étrangère et le désert, du côté de Djibouti. Ici, dans un décors de fin du monde, façon "Désert des Tartares", les soldats n’ont rien d’autre à faire que de répéter à l’infini les mêmes routines, simplement parce qu’ils ont été engagés à le faire...

Ce qui intéresse Claire Denis c’est l’interaction entre ces corps virils, dressés à la dure, et leur environnement désolé et hostile, presque vidé de toute humanité. Ces hommes taiseux, rudes, au passé difficile, se sont retrouvés autour d’une mécanique aveugle et noble à la fois, celle du soldat voué corps et âme à sa mission. Son travail doit être parfait, sa gestuelle impeccable et précise, son obéissance totale, l'oubli de soi complet. C’est ce que Claire Denis décide de mettre en scène avec beaucoup de talent, en reprenant les codes de l’opéra, avec sa chorégraphie, ses moments de tension, ses orages, sa grandiloquence. Cette musicalité du récit tient aussi énormément au montage, en tout point remarquable. Le ballet des corps, sous un soleil de plomb, est fascinant, sensuel et hypnotique. La solitude des âmes enfermées n'en est que plus poignante.

Pour autant, la mise en scène peine à faire comprendre ce qui se joue vraiment entre l’adjudant-chef Galoup (Denis Lavant) et Sentain (Grégoire Colin), dont la problématique sert pourtant de justification au film ! Cet enjeu, présenté dès la première scène, finit ainsi par devenir un peu artificiel. Seule la voix-off de Denis Lavant apporte des clés de compréhension mais bien minces au regard des faits relatés. La mise en scène, brillante dans sa description du quotidien des légionnaires, devient sèche et pauvre lorsqu’il s’agit d’évoquer la relation entre les deux principaux protagonistes. C’est assez frustrant vu la qualité du film.

Mais il ne faut pas non plus bouder son plaisir ! Nous sommes clairement dans un cinéma d’une grande richesse, original, puissant et rare !

jjpold
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le 30 juin 2020

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