Fin du 18e Siècle,les vies et l'oeuvre de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais,resté dans les mémoires pour les triomphes de ses pièces "Le barbier de Séville" et "Le mariage de Figaro",mais qui fut si l'on en croit le film bien plus que ça.Curieux de voir comment certains trucs traversent plus ou moins bien le temps."Beaumarchais l'insolent" par exemple était vraiment très sympa vu dans son jus des années 90,emporté par sa vitesse,ses rebondissements et la verve de Luchini.Avec le recul les coutures apparaissent,et elles craquent de partout.L'origine théâtrale du projet,c'est adapté d'une pièce de Sacha Guitry,ressort avec force en dépit des efforts du réalisateur Edouard Molinaro pour créer un mouvement incessant en multipliant les décors et les personnages,un peu trop d'ailleurs.Le responsable de cet échec est probablement l'écrivain Jean-Claude Brisville,co-auteur du scénario avec Molinaro.Lui-même dramaturge,il avait connu en 89 un immense succès théâtral avec "Le souper",longue conversation entre Talleyrand et Fouché,qui sera adaptée au cinéma en 92 par le même Molinaro.Brisville raffolait des costumés,des emperruqués et des poudrés,et avait tendance à se prendre pour un historien alors qu'il ne captait que la surface d'évènements qu'il distordait afin qu'ils correspondent à ses fantasmes romanesques.Nul doute que Beaumarchais fût un personnage fort romanesque mais le portrait de rock star ici fait de cet écrivaillon opportuniste est tout-à-fait délirant.Si on se fie à Brisville et Molinaro,Beaumarchais serait l'héritier spirituel de Voltaire,carrément adoubé par celui-ci.Mais pas seulement car c'est aussi Molière,même si son oeuvre théâtrale est très peu fournie et se résume essentiellement à deux pièces,qui sont certes des triomphes devenus des classiques,mais rien de comparable à la carrière de Poquelin.Mais c'est pas tout car en plus d'être Voltaire et Molière réunis,c'était aussi Casanova.Avec son bagout irrésistible,le mec séduisait à tour de bras et tronchait de la mémère à la chaîne.Et plus encore,non content d'être Voltaire,Molière et Casanova,c'était également la SACEM puisqu'il a inventé le droit d'auteur alors que la plupart des bénéfices revenaient précédemment aux comédiens,qui peuvent donc le bénir.Mais ça ne suffit pas et les performances continuent à s'empiler vu que Voltaire,Molière,Casanova et la SACEM c'est petit joueur,alors va pour James Bond,ce brave Caron étant chargé par Louis XV de récupérer en Angleterre des plans ultra-secrets gênants pour l'Etat français.Et vas-y qu'on continue à charger une mule déjà bien bâtée en ajoutant à Voltaire,Molière,Casanova,monsieur SACEM et James Bond ce bon vieux La Fayette,car figurez-vous que c'est Beaumarchais qui a fait gagner aux américains la guerre d'indépendance en organisant un trafic d'armes à leur profit,ce dont on n'est du reste pas sûrs de devoir le féliciter.Et last but not least,comme disent ses potes ricains,le sieur Caron va plus loin que Voltaire,Molière,Casanova,la SACEM,James Bond et La Fayette en étant de surcroit l'inspirateur de Robespierre,parce que celui qui a impulsé la Révolution,c'est lui bien entendu.Ce panégyrique bondissant est au final handicapé par des évènements peu crédibles même si historiquement exacts à la base qui sont vite survolés et des dialogues cherchant sans toujours y parvenir à être brillants pour n'être au fond que théâtraux,ce que n'arrange pas la diction scénique en diable d'un Luchini qui a semble-t-il oublié la caméra pour se croire sur les planches.Etrangement ce film pourrait être la suite de "Que la fête commence",voir la critique précédente,publicité gratuite,qui s'achève à l'avènement du jeune roi Louis XV tandis que "Beaumarchais" démarre à la fin de son règne et finit sur un Louis XVI en difficulté.Quand on voit comment le Tavernier tient le coup aujourd'hui par rapport à ce Molinaro pourtant sorti vingt ans plus tard,on se rend compte que,comme le chantait Brassens,"le temps ne fait rien à l'affaire".En conclusion,si on s'attache au fond et qu'on regarde au-delà de la patine rock'n roll du personnage,le film peine à masquer la personnalité peu reluisante d'un "héros" beau parleur mais surtout magouilleur,hypocrite,manipulateur,âpre au gain,plus ou moins escroc,inconstant,usurpateur,arriviste et cauteleux.Ceci dit,on a quand même droit à un portrait amusant et peut-être juste d'une aristocratie en fin de course qui,sentant sans doute son pouvoir vaciller,se compose une attitude libérale et fait mine de rire aux saillies de ce comique qu'était Beaumarchais pour dissimuler l'humiliation ressentie,à la manière des politiques ou des stars actuels feignant d'être réjouis par les flèches de leurs imitateurs ou des stand-upers.Pas étonnant,à un tel degré de veulerie,que ces gens aient été balayés par le vent de l'Histoire.Fabrice Luchini,omniprésent,se démène beaucoup mais généralement à côté de la plaque,n'arrivant guère à lutter contre une écriture défectueuse.Autour de lui,on a réuni une noria de vedettes qui ne font pour la plupart que passer,ce qui renforce l'impression d'artificialité gonflée au name droping.Du coup ça sort de tous les côtés.Et hop,Sandrine Kiberlain en épouse nunuche du grand homme,qui croit naïvement pouvoir le changer.Et voilà Jean-Claude Brialy en service minimum dans un rôle d'abbé complètement inutile.Et Michel Aumont pour une poignée de secondes en noble amusé par les saillies de l'auteur.Et Patrick Bouchitey en libraire faux-témoin qu'on affuble d'une sorte de bec de lièvre afin qu'il ait l'air d'exister.Et Evelyne Bouix en amie de la reine séduite par l'oeuvre du génie,ou plus probablement par ses qualités de tombeur de dames.Et Isabelle Carré inexistante en Rosine,la jeune première du "Barbier de Séville".Et Alain Chabat en courtisan qui se rate en essayant de ramener Beaumarchais à son statut originel d'horloger.Et Judith Godrèche en Marie-Antoinette qui apprécie les écrits du dramaturge,ce qui ne l'empêchera pas de se faire couper le cigare peu après.Et Murray Head transparent en pote anglais du héros.Et Axelle Laffont,très jolie mais très furtive en épouse infidèle.Et son papa Patrice Laffont qui surgit subrepticement en douanier.Et Martin Lamotte coincé dans un rôle peu payant d'aristo spolié de son héritage par ce sacré Pierre-Augustin.Et Jean Yanne réduit à la portion congrue en procureur corrompu.Et Guy Marchand,la participation la plus scandaleuse du film,trois secondes à l'image environ,tout ça pour incarner un quidam énamouré supporter de Super-Beaumy.Et François Morel en plaideur geignard.Et Bruno Lochet fantomatique en gardien de prison.Et Claire Nebout en chevalier d'Eon,car l'apparence hommasse de la comédienne avait été décelée bien avant le téléfilm "Louis[e]" qu'elle a tourné en 2017.Et Michel Piccoli total aux fraises en Prince de Conti sénile.Et Michel Serrault en Louis XV subclaquant.Et Dominique Besnehard,logique en Louis XVI avec son allure de poussah efféminé.En dehors de Luchini et Kiberlain,le seul à avoir un vrai rôle est Manuel Blanc,dont on considérait à l'époque pour on ne sait quelle raison qu'il était un acteur.Il confirme ici sa nullité en jouant pâlement le fan lèche-cul de Beaumarchais devenu son factotum.Pas étonnant qu'il en soit maintenant réduit à un emploi de second couteau dans un feuilleton quotidien minable de France 2.Quelques-uns s'en sortent toutefois avec les honneurs,à l'image de l'insubmersible Jean-François Balmer,dont la malice donne du relief à Sartine,le chef de la police,de José Garcia,qui a beaucoup de présence pour peu de temps d'antenne en interprétant le comédien qui est Figaro sur scène,de l'inoxydable Roland Blanche,tonique en auteur de pamphlets,de la très charmante Florence Thomassin en comédienne à la cuisse légère ou de Jacques Weber,dévastateur en duc au sang chaud.

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le 4 mars 2021

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