Quand l'amour frappe à la porte d'un salaud
Le film commence sur un plan magistral, un zoom progressif qui écarte un à un les personnages d'un mariage, avant de se centrer sur un jeune homme d'une beauté telle qu'il pourrait faire douter le plus forcené des hétérosexuels. Ce même jeune homme se tourne face caméra et le plan bascule sur l'homme qui depuis tout à l'heure le regarde. Un père de famille d'apparence respectable, rondouillard, à la tête de son entreprise de meubles, en Afrique du Sud. Sauf que ce père de famille, François, est homosexuel et qu'il vient de tomber amoureux du jeune éphèbe. Attention spoilers.
Beauty, c'est l'histoire d'une frustration et d'un interdit amoureux qui mènent au crime. Inaccessible, Christian est une quête du Saint-Graal, un désir de possession. Ce monde intouchable auquel tend cet homme est rendu par un procédé certes répété ad nauseam mais efficace : espionnant sans cesse le jeune homme, il peut percevoir seulement les gestes, attitudes. Mais les lèvres de Christian remuent sans que jamais il ne puisse savoir ce qu'il peut dire. Petite à petit, Christian devient moins une personne qu'une icône de beauté absolue sur laquelle tous les fantasmes peuvent être plaqués.
En creux, s'exprime cette cassure entre deux générations : l'homosexualité est taboue pour le père de famille, qui insulte volontiers les "pédés". Cette frustration l'amène à des rendez-vous secrets, des sauteries violentes et dénuées de sentiments, avec des partenaires de jeu, en fin d'après-midi. Et en plus de ça, un racisme latent envers les prétendants Noirs apparaît. Sans que le sujet ne soit traité de front, et c'est tant mieux tant s'est attendu de la part d'un film sud-africain, c'est la différence de mœurs de deux générations, l'une ayant vécu l'apartheid, l'autre étant née après.
Christian est un jeune homme libéré, qui a des amis Noirs, qui leur fait même la bise, qui ose se soustraire aux rendez-vous de la famille ou encore, montre des ambitions internationales. Plus qu'un amour, c'est une jalousie profonde qui s'empare de François. Il veut être Christian, à tout prix. La malignité, la manipulation, le mensonge s'invitent dans ses plans et le transforme en froid prédateur. Et lorsqu'enfin il est en tête à tête avec Christian, attiré par l'appât du gain, c'est le viol (le premier viol masculin que j'ai pu voir au cinéma).
Et au final, alors que le père de famille s'enfonce dans un parking de plus en plus obscur, jusqu'au générique, il revoit en flash-back les deux jeunes hommes amoureux du fast-food. Il les jalouse, d'autant plus qu'il a compris son erreur : jamais il ne pourra « aimer » ou être « aimé » par Christian. Mais c'est trop tard.
Après ces quelques paragraphes, on aurait toutes les raisons de dire que Beauty est un film formidable. Il aurait pu. Mais Hermanus joue trop lourdement avec des procédés qui rendent le tout pataud. Le film, qui m'a semblé duré 2h, n'en dure qu'1h40. Les longs, trop longs plans fixes endorment, d'autant qu'ils ne disent rien de plus que s'ils avaient été courts. Oui, cela participe à l'atmosphère lourde du film, plus encore dans rares scènes violentes ou la caméra, de façon documentaire, filme ce qui ne peut être montré, ce qui lui vaut probablement son interdiction au moins de 16 ans. Mais on doute que chaque plan ait quelque chose à dire : un plan sur les pieds, un plan séquence interminable à l'hôtel lorsque François range ses affaires, des panoramas, et les longs soupirs conclusifs de François dès qu'il s'isole et qui durent plusieurs longues secondes. Oui, on a compris qu'il était mal dans sa peau.
Le film est même malhonnête avec le procédé des paroles inaudibles à la fin du film, même si cela pose adroitement, sous un soudain suspense, la fin.
A voir par curiosité, pour le plaisir d'être dérangé par les dangereuses conclusions de l'amour.