Uncanny Valley volontaire
Splice a pas mal de défauts de réalisation, comme des acteurs qui semblent désincarnés (Brody, qu'est-ce qui t'arrive?), des scènes aussi clichées qu'attendues ou des éléments scientifiques véridiques mélangées parfois à des phrases un peu plus discutables (l'homme est l'être le plus complexe du vivant peut-on entendre... sur un plan génétique, ce dont il est question tout le long du film, la réponse est non).
Mais la maîtrise filmique de Splice passe au deuxième plan quand l'on décide de s'attarder sur ce qui en fait la teneur. Le couple de scientifiques mettent au monde une créature mêlée avec de l'ADN humain. A partir de là, va s'en suivre le quotidien et les réactions de ce couple en compagnie de cette créature... si proche et si lointaine de nous.
C'est le point fort du film de Vincenzo Natali : créer de l'Uncanny Valley volontaire. L'Uncanny Valley, c'est ce point où quand un modèle devient trop proche de l'homme, on n'éprouve plus une sympathie comme on l'a à l'égard d'objets plus lointains, mais un sentiment de rejet instinctif. Pour schématiser à l'extrême, notre cerveau ne perçoit plus "un objet qui ressemble à un humain", mais "un humain difforme (que l'on lie à un cadavre ou à des anomalies génétiques graves)". C'est ce cap une fois passé qui crée le rejet. Tous les films en images de synthèses où les jeux vidéo à prétentions réalistes sont confrontés à ce problème.
Là où Avatar, pour éviter ce problème, renversait les données (ce n'est pas l'image de synthèse qui veut ressembler à un homme, mais l'homme qui va vers un modèle d'images de synthèse, les fameux êtres bleus), Splice, sorti à la même époque (ce qui est d'ailleurs tout à fait intéressant), au lieu de proposer une autre réalité comme le film de James Cameron, cherche au contraire à entrer de plein pied dans cette Uncanny Valley.
Tout le long du film, alors, le spectateur ressentira à chaque plan cet étrange sentiment de familiarité qui caractérise la vue d'un membre de la même espèce doublé par ce rejet dû aux formes particulière de Dren, la créature : la forme du crâne scindé en deux, les grands yeux, les genoux inversés, la queue etc. qui vous mettront dans une situation d'inconfort comme rarement au cinéma, pour ne pas dire pour la première fois.
En plus de l'aspect visuel, le film se permet d'aborder des thèmes en relation avec la créature, comme le rôle de "parents" ayant mis au monde cette créature ou encore, plus fascinant encore, la relation amoureuse et sexuelle (on peut même parler d'inceste par certains égards) entre Clive (Adrien Brody) et Dren (Delphine Chaneac). Et c'est cet aspect, sans doute, le plus réussi du film : cette chronique presque quotidienne et dérangeante, presque malsaine, de deux scientifiques poussés par des motifs différents à garder cette créature avec eux. Un coup de chapeau à Sarah Polley qui surnage un peu dessus du lot des autres acteurs en interprétant un personnage féminin (Elsa) ambigu, progressant en eaux troubles...
Indubitablement réussi, il est pourtant difficile d'aller jusqu'à le recommander parce que ce film a quelque chose de traumatisant. A vos risques et périls.