Que de délicatesse dans la transposition d'une telle œuvre, notamment, quand celle-ci demeurerait politique. Il est désormais question d'un temps où les sensibilités régionales prendraient une place trop importante, par la motivation d'une question identitaire désormais inhérente dans la société française. Ce temps, malheureux, introduit Bécassine, hissée dans sa représentation telle une dégueulasserie. Un mouvement indépendantiste expose, avec une certaine puérilité, une rhétorique abjecte à l'encontre du film de Podalydès, sans avoir pu voir ce dernier. Cette critique vient possiblement de cet état de fait, mais également de mon ressenti quant à ce faux-débat initié par des utilitaires fallacieux.


Il me semble évident, dans un souci de contextualisation, de présenter le cadre dans lequel le film fut projeté. Visionner Bécassine ne frappait nullement mon esprit jusqu'à ce que l'on me propose d'assister à une avant-première... drôle d'invitation tout de même. Il fallait que j'outrepasse ma peur des adaptations de bande dessinée. Sous peu, j'accepte. Malgré la douloureuse bande-annonce, je commençais à croire en la pertinence du film, en me basant notamment sur le réalisateur, au demeurant pertinent.


Survient une polémique, grâce à laquelle j'allais devenir de plus en plus intéressé par le film. Un groupe breton, évoqué précédemment, appelle au boycott du long-métrage, au point d'imaginer des actions non-violentes pour déprogrammer ce dernier. Mon ressenti reste toujours aussi négatif face aux régionalistes, apparaissant, dans mon esprit obtus, tels des nationalistes aux radis noirs. Changer de surface ne permet pas de légitimer de tels idéaux, notamment quand ces derniers sonnent aussi mollement. Du moins, tel était mon positionnement avant d'assister à la séance.


Déboulant sereinement dans les rues de ma cité, je m'étonnais de ne pas être en retard à une séance. Pour preuve, une vingtaine de minutes s'offrait à moi pour méditer sur la raison de ma présence à cette avant-première, mais aussi sur la raison ayant pu permettre la création d'une entité aussi imbécile que la mienne, capable de se perdre, en une soirée, à mesurer la pertinence d'une adaptation de Bécassine. J'avais pourtant prévu de voir la France mesurer l'efficacité tactique de la Squadra Azzura, c'est dire mon état... Et que vois-je ! Une foule devant l'entrée du cinéma ! Des tracts traitant des motivations du groupe régionaliste présentèrent les intentions dudit groupe, reprochant notamment la stature de la "pseudo-comédie populaire" que devrait être Bécassine. Le sourire aux lèvres, je me languis devant une telle rhétorique, ne mesurant nullement la portée de telles accusations. Je n'avais rien vu du film, comment pourrais-je juger de tels faits ! Des deux côtés, pour sûr ! Pourtant, les régionalistes ne l'ont pas vu non plus. Il serait peut-être plus pertinent d'appeler au boycott quand on connaît son ennemi ? J'allais juste être pris à mon propre jeu, moi qui croyais désespérément avoir à faire à une adaptation risible.


Le long-métrage s'illustre, en introduction, par une image dénaturée, grisée, mettant en forme la jeunesse de Bécassine. Sans symbole défini, nous découvrons un personnage miné et frappé par l'absence de ses parents, mais, par l'aide de son oncle, une fille désormais songeuse et spontanée, possiblement lunaire. La gaffe caractérise une partie de la représentation de Bécassine, mais celle-ci n'apparaît en aucun cas de manière méprisante ou grossière. Au contraire, Podalydés présente une femme certes crédule, mais sensible, intelligente et terriblement enfantine. Cette sensation s'accentue avec la découverte de la fille de la marquise, Loulotte, acquise à la sensibilité si atypique de Bécassine.


La ligne directrice du film respecte les promesses du réalisateur, mettant en relief une certaine poésie, de l'unique rapport humain à sa démesure. La verve de Bécassine plaît, d'autant qu'elle nous semble familière. Sa spontanéité présente un réel sens de la mesure chez l'actrice, articulant idéalement son interprétation de Bécassine. La crédulité n'est jamais affligeante, elle apparaît mignonne, attendrissante, mais en aucun cas elle serait grossière. Cette osmose est largement respectée, les relations entretenues entre Bécassine et les autres personnages pouvant notamment corroborer cette pensée. La demoiselle, soucieuse dans sa volonté de bien faire, peut créer de l'empathie, mais surtout de l'interrogation. Comment présenter un personnage faussement crédule ? En effet, il est délicat, notamment avec un tel symbole, de concevoir l'innocence, surtout quand elle incarne le film.


Au-delà de l'innocence, le film présente une poésie permanente, se rapportant avec la nature - par son enveloppe - ou dans les relations sociales. La pureté du propos vient appuyer ladite poésie, aussi aidée par la photographie, captant chaque séquence avec un ton neutre, sans pour autant être générique. L'identité visuelle du film ne tient pas compte d'une certaine laideur, pourtant prédominante dans de telles adaptations. Au contraire, elle sert le fond, tirant les ficelles d'une comédie poétique, accessible à tous. Le respect du pur prend également place dans la mise en scène, Podalydès se permettant de transposer Bécassine au temps du muet. Ainsi, des références envers l’œuvre charnière de Louis Feuillade, Les Vampires, sont insérées, pour marquer Bécassine dans son temps.


Le décalage permanent du film apporte cependant des scènes délicates, pouvant tirer les larmes de certains spectateurs. Bécassine souffre continuellement dans le film, la rupture avec son innocence se permettant de caractériser l'immense profondeur du personnage. Il est pourtant évident que le film ne semble pas si parfait, présentant les tares d'une comédie vivifiante mais trop épurée. Les problématiques du film permettent principalement d'offrir de beaux moments de répit pour les esprits juvéniles sommeillants en nous, mais celui-ci nous semble plus subtil que prévu. Ne présentant d'aucune façon les tares décrites par l'association indépendantiste, il nous semble évident que Bécassine interroge la comédie française et son rapport avec la simplicité. Aucune représentation ne vient ternir le projet, de manière à présenter un cadre "blanc" et neutre. L'altérité tient surtout compte des réactions de chaque personnage. Par exemple, nous nous étonnerons de ces simples relations transcrites dans le film, qui semblent si familières et pourtant terriblement éloignées dans les productions actuelles, que la vision d'une telle œuvre nous offre, tout bêtement, du baume au cœur. Dépotant par sa simplicité si élégante, Bécassine mérite un petit coup d'œil. Certes, le film ne révolutionne pas la comédie française, d'autant que, dans un imaginaire de l'enfance, la transcription d'émotions aussi simples semblent avoir déjà été traitée par Christophe Honoré dans son adaptation des Malheurs de Sophie. Pourtant, le charme opère, sans doute impulsé par un romantisme enivrant. Podalydès réussit un drôle de pari en déconstruisant la figure populaire de Bécassine, pour offrir à cette femme l'intelligence dont on lui a souvent reproché son absence.


Voilà que la séance s'arrête. Que d'étonnement... Le film n'était pas si mal finalement. En amont, j'avais prévu de quitter la salle aussitôt pour rejoindre des amis, mais la tentation était trop forte - le réalisateur et l'actrice interprétant Bécassine étaient présents. L'organisateur de l'événement présentant une séquence de questions-réponses, aussitôt un loyal breton demanda le micro ! Des remerciements, pour ensuite en revenir à l'imagerie habituelle de la bretonne du siècle passée. Des leçons de morale adressées à un public drôlement audible, scandant timidement à cet homme de quitter les lieux. Il le fit de plein gré, sans oublier de reprocher à ses compatriotes que la culture bretonne se meurt. Hors du temps, ces déclarations me semblent désormais tellement ridicules... je n'arrive toujours pas à comprendre comment cet homme a pu se présenter, fièrement, pour hisser un faux-débat. Avions-nous vu le même film ? J'ai vu de la poésie, il a vu des femmes mortes sur des talus. Le manque de sensibilité de Bécassine, forcément...


Il est surtout possible que ce soit elle, Bécassine, qui ait le plus à perdre avec ces gesticulations enfantines. La femme bretonne ne pouvait pas être débrouillarde ? La débrouillardise est une intelligence, quoique l'on puisse en penser. Pourtant, on vient taire cet élément.
Les mêmes critiques iront toujours remettre en cause la nature de Bécassine, pourtant, elle avait des émotions, elle existait et n'était pas insensible au monde qui l'entourait.

Amomo
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le 2 juin 2018

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