Tout, chez Bécassine, ramène à l’enfance :
- Le souvenir des œuvres BD que plusieurs ont lues, intégralement ou partiellement.
- Son nom ridicule, dont aucun adulte ne voudrait, et qui la rattache définitivement, sur le mode grec et selon l’Oncle Corentin du film, au moment de sa naissance, saluée par un vol de bécasses. Dans le livre, au contraire, cette dénomination était antiphrastique, commandée par son nez minuscule, si dissemblable des becs de bécasse tout pointus...
- Sa naïveté devenue légendaire, pareille à celle d’une enfant, et qui lui vaut de se faire continuellement traiter de bécasse.
- Sa silhouette droite et maladroite, taillée sommairement, comme le corps d’un enfant encore immature.
Bécassine est l’archétype d’un rapport à l’autre apaisé, jusqu’à la naïveté extrême, jusqu’à l’insupportable, jusqu’à la bécasserie : jamais d’envie, jamais de jalousie, jamais de volonté de nuire ni d’inimitié, un débordement d’affection gauche qui ne sait comment s’offrir, à l’image de sa démarche, légèrement cassée en avant, comme entraînée par un continuel trébuchement vers l’autre.
Et c’est bien cette figure que nous offre Bruno Podalydès, sous les traits d’Emeline Bayart, excellente dans le rôle. Débordante d’affection pour ses parents paysans, dont elle va toutefois s’éloigner, désireuse de faire carrière à Paris et de grimper sur la Tour Eiffel ; débordante d’affection pour son Oncle Corentin (Michel Vuillermoz, excellent en tout vert, disparaissant sous les paquets de feuillage sous lesquels il dissimule ses activités de chasseur) ; débordante d’affection pour sa Loulotte, la petite adoptée de la famille de Grand-Air pour laquelle elle éprouve plus d’affection que ses parents de substitution officiels ; débordante d’affection pour toute la maison des de Grand-Air, et même pour Marie Quillouche qui lui jalouse son nouvel emploi au château. Car Bécassine n’est pas allée loin : son voyage vers la capitale s’arrête au château voisin...
Coup d’arrêt que subit sans doute aussi le film lui-même. Après le premier temps, pittoresque, au cours duquel sont présentés les occupants du château, tous excellemment incarnés (Marquis et Marquise joués par Denis Podalydès et Karin Viard, seconds rôles tenus par le réalisateur lui-même, en Rastaquoueros embobineur, Josiane Balasko, Isabelle Candelier, Philippe Uchan et Vimala Pons), le scénario traîne un peu en longueur et menace de se déliter, à l’image du grand train des de Grand-Air... Autre grief, le film - choix difficilement justifiable, semble-t-il - n’est pas tourné en Bretagne, mais dans l’intérieur des terres normandes, comme l’atteste le générique de fin...
Il n’empêche. Même si le dernier opus de Bruno Podalydès n’est pas sans points faibles, on a eu plaisir à retrouver l’héroïne des enfants, son inébranlable gentillesse, et à voir des humains bien réels prêter leurs traits, en 2018, aux personnages créés le 2 février 1905 par Jacqueline Rivière et Émile Pinchon, dans « La Semaine de Suzette »...