Quelle joie de revoir ce film peu connu et rarement diffusé sur des chaines de télé, il m'a suffi du replay de TCM pour retrouver des sensations que j'avais éprouvées il y a bien longtemps alors que j'étais ado ; et là, après tant d'années, j'ai encore plus apprécié cette sorte de face à face shakespearien de haute tenue où 2 grands acteurs rivalisent de brio, parce que j'en comprend mieux les rouages, depuis mon adolescence, ma sensibilité est plus aiguisée, j'ai lu beaucoup sur ce XIIème siècle sur les Plantagenêt, c'est une période historique qui me passionne, et j'y ai pris presque autant de plaisir qu'avec Un lion en hiver où Peter O'Toole reprenait son rôle de Henry II vieilli et usé.
Il s'agit d'une adaptation grandiose et flamboyante de la pièce de Jean Anouilh créée à Paris en 1960, et que Peter Glenville avait déjà montée sur scène à Londres et à New York avec Laurence Olivier et Anthony Quinn, en obtenant un excellent accueil critique ; production anglaise, aidée par quelques capitaux américains et distribuée par Paramount, c'est un grand film malgré les inexactitudes historiques, Anouilh s'en était justifié en déclarant : "J'ai fabriqué le roi que je voulais et le Becket ambigu dont j'avais besoin pour exprimer cette amitié qu'un conflit absurde désagrège peu à peu".
Comme dans Un lion en hiver, le dialogue prime, il n'y a pas d'action, c'est théâtral, ne vous attendez donc pas à voir des chevauchées en armes et des attaques de châteaux forts, mais c'est cependant une très bonne restitution d'un Moyen Age chaotique sur le plan politique (la rivalité Capétiens-Plantagenêt) et spirituel (la lutte entre le pouvoir royal et le pouvoir ecclésiastique). Cette lutte de pouvoirs est symbolisée à travers les 2 figures que sont le roi Henry Plantagenêt et Thomas Becket, et leur relation est volontairement ambiguë. Il fallait pour incarner ces 2 personnages, 2 acteurs à forte personnalité pour exprimer le fort contraste entre eux : un roi excessif et sanguin face à un Becket mesuré et très peu expressif, ce qui correspond à Peter O'Toole et Richard Burton (qui par ailleurs étaient amis dans la vie), le premier étant toujours dans l'excès (j'adore les scènes où il engueule son épouse Aliénor, sa mère Mathilde et ses "horribles enfants" qu'il n'aime pas), le second étant dans la retenue, ce qui nous vaut une confrontation magistrale.
Comme dans Un lion en hiver, les défauts du statisme théâtral sont largement compensés par la dramaturgie exposée ici et la richesse du dialogue, de même que la direction artistique est très soignée, costumes superbes et vrais décors d'églises romanes, pas de carton-pâte. Malgré quelques longueurs (la cérémonie du sacre de Becket aurait pu être écourtée), ce film reste un beau film historique qui renseigne sur un épisode de l'Histoire d'Angleterre, magnifiquement servi par un duo de grande valeur qui porte assurément tout le film, mais bien soutenu par John Gielgud en roi de France Louis VII, Paolo Stoppa en pape Alexandre III, Gino Cervi et Pamela Brown... A noter que le film reçut 12 nominations aux Oscars mais n'obtint curieusement que l'Oscar du meilleur scénario.