Avec Belfast, le spectateur pourra penser que Kenneth Branagh a tenté d'imiter Alfonso Cuarón et de faire son propre Roma : même ressort autobiographique, inscription similaire de l'intime dans l'histoire, ville mise en avant, et même noir et blanc classieux.
Sauf que ce que l'on a admiré chez l'un devient une tare chez l'autre, un excès lamentable d'hubris, une mise en scène lourde, artificielle et pompeuse.
Allez comprendre...
Que l'on s'entende bien : je ne dis pas ici que Kenneth ferait la nique à Alfonso et que Belfast serait le chef d'oeuvre de 2022. Loin s'en faut. Je m'étonne seulement du contenu de certains avis, ici et ailleurs.
D'autant plus que si les deux films sont voisins, chacun adopte un point de vue légèrement différent. Celui de Kenneth, c'est l'oeil de l'enfance, un peu comme dans Jojo Rabbit. Qui grandit dans un univers a priori sécurisé et bienveillant, très ouvrier et préservé.
Jusqu'à cet été 1969 et cette violence qui prend par surprise.
L'enfance, sous la caméra de Kenneth, est soudain prise dans une violente tempête, un tourbillon qui l'arrache à sa conception candide de l'existence.
Mais une fois cette explosion passée, le regard, et la mémoire de l'enfance, reprend ses droits, repoussant les tensions religieuses entre les communautés en arrière-plan, brossant un portrait en creux de la ville-titre et du quartier du jeune Buddy, mais aussi celui d'une famille. De grands-parents aimants, de parents qui font ce qu'ils peuvent pour leur progéniture, pour traverser les tensions de leur temps et tenter de rester fidèle à leur boussole morale.
Les images sont magnifiées par le souvenir de l'enfant que Kenneth a été. Par ces petites aventures minuscules, les premiers émois, le dernier Noël passé en famille, l'image d'une mère qui s'attriste chaque jour ou les retours d'un père faisant face au travail et aux dettes.
Le noir et blanc utilisé signifie aussi une certaine vision du quotidien, traversé de ça, de là, des couleurs vives de l'émerveillement et de la découverte de l'art et du cinéma : une représentation de A Christmas Carol, la voiture volante volante de Chitty Chitty Bang Bang, les dinosaures et les bikinis de One Million Year B.C.. Autant d'occasions de communier un peu plus avec ceux qui nous sont chers, ou encore de s'évader du quotidien. Au point de déteindre sur la réalité, à l'image de cette séquence d'affrontement reprenant les codes des anciens westerns passant sur la télévision familiale.
Autant de petites tranches de vie classiques d'un film qui ne l'est pas moins, mais qui rend néanmoins immédiatement attachante cette famille fragile, finement interprétée et dirigée par Kenneth.
Belfast, elle, est aussi montrée comme une mère abusive : qui donne naissance, qui accueille et qu'il est difficile de quitter. Mais qui se montre aussi d'un horizon bas, qui n'offre aucune perspective d'évolution et qui est soudainement traversée des pires frustrations, des pires tensions en forme de prétextes.
La chronique est douce-amère, à hauteur d'enfant, avec tout ce que cela comporte de simplicité et de déformation du point de vue. Mais mettant de côté le maniérisme que certains vous décriront avec leur complaisance habituelle quand ce que l'on peut leur mettre sous le nez les révulsent.
Et laissant à la sortie de la séance comme un sentiment de rester, pour quelques minutes, dans une bulle d'insouciance rassurante.
Behind_the_Mask, soudain l'été dernier.