"Béliers" ou l'emmêlement laineux des extrêmes

Islande, "pays de la glace". En longs plans fixes, comme si la caméra menaçait toujours de geler sur place - un peu à la manière d'Aki Kaurismäki, du temps des Leningrad Cowboys go America -, Grímur Hákonarson campe deux frères occupant deux maisons voisines dans une vallée désertique, mais séparés par quarante ans de brouille et de silence.


Dans ce désert humain sur lequel souffle le grand vent du nord, hurlant librement et lancinant à plaisir, on mesure vite l'importance chaleureuse prise par la masse blanche et docile, affectueuse, des béliers, à l'élevage desquels se consacrent les deux frères ennemis. Deux superbes têtes tout droit sorties d'un retable rhénan et prenant plaisir à mêler leurs boucles grisonnantes à la toison abondamment neigeuse de leurs bêtes à concours.


Ce décor étant planté, avec un hiératisme et une tension dignes d'une tragédie grecque, le réalisateur va nous rendre témoins de la manière dont une source de conflit supplémentaire, mais extérieure, celle-ci, va progressivement rapprocher les deux frères et les conduire à faire front, conjointement, et non plus l'un contre l'autre.


Et c'est ce cheminement, patient, incertain, qui va mener le film vers ses moments les plus renversants. Dans ce pays où, justement, il ne fait pas bon être renversé, car alors on se retrouve étendu raide sur le sol, promptement raide de froid avant même d'être raide mort, Hákonarson va oser ses scènes les plus improbables et les plus audacieuses. Exemple : cette soirée de Noël durant laquelle, habillé cérémonieusement pour la circonstance, le plus placide et responsable des frères, Gummi, ingurgite tranquillement son dîner festif, à côté d'un grand nouveau-né inhabituel, étendu nu sur son canapé et ronflant copieusement, sous la clarté des bougies : son frère, qu'il vient de sauver de la congélation en l'immergeant dans un grand bain chaud. Scène qui se reproduira presque à l'identique, mais en faisant intervenir la variante plus grotesque d'un tracteur.


Il n'empêche : le rire ne suffit pas à nous faire passer à côté de la gravité et de la profondeur du sujet et l'on perçoit que la réconciliation avec un frère va de pair avec un processus de renaissance, de recréation de l'autre. Paradigme confirmé par la bouleversante scène finale, dans laquelle l'autre frère, Kiddi, l'ivrogne, l'ingrat, tente à son tour de redonner vie à son cadet ; étroitement enlacés et nus comme au premier jour, ils se sont glissés dans un utérus de glace qui, en préservant leur chaleur, parviendra peut-être à sauvegarder leur existence.


Un film immense, à la démesure de l'humilité apparente de cette histoire d'hommes et de bêtes.

AnneSchneider
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le 10 déc. 2015

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Anne Schneider

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