Au lieu de dénoncer la vulgarité de l’Italie contemporaine en nous en infligeant la laideur, Pietro Marcello a la bonne idée de nous faire remonter le temps dans le paradis perdu d’une Campanie ancestrale. On y voyage à pied, on s’éclaire à la bougie, ceux qui n’ont ni grand nom ni grande chance ont tout de même leur place et les hommes savent que les éléments de la nature sont doués d’âme. Notre ambassadeur dans ce monde disparu est un jeune buffle improductif, donc destiné à l’abattoir, répondant au nom de Sarchiapone. La caméra adopte régulièrement son point de vue et la voix-off nous fait partager ses pensées. Son rêve ? Que les humains, transformés en créatures ailées, s’en aillent coloniser d’autres planètes et que les animaux reçoivent la Terre en héritage pour vivre leur destin en paix. L’amor fati, le consentement à ce qui est, voilà encore une sagesse « belle et perdue », que les animaux connaissent encore mais que les humains ont oublié. Tous ? Non ! Quelques irréductibles petits Latins résistent encore. C’est le cas de Tommaso Cestrone, à qui le film est dédié. L’homme consacra sa vie à rendre la Reggia di Carditello, palais bourbon abritant de précieuses œuvres d’art mais dont la Camorra avait fait une décharge, au peuple italien. Par testament, il charge Polichinelle, intermédiaire entre les morts et les vivants, de confier Sarchiapone à un être humain encore capable de gratuité…
Pour Pietro Marcello, les contes, bien qu’irréels, se doivent de raconter la vérité. Si le film est onirique, il n’en est donc pas moins noir. Des polichinelles, fameuses figures de la commedia dell’arte napolitaine, incarnent des administrateurs peu efficaces à protéger les magnifiques peintures de la Reggia. Les personnages principaux sont toujours placés au tiers de l’image, suivant une composition picturale soignée qui restitue toute la splendeur de la nature campanienne. Néanmoins, Polichinelle échoue dans sa mission et le charme du réalisme magique est finalement rompu. Nous quittons alors un monde où le sens de la beauté demeure pour retrouver le nôtre où les esthètes, animaux ou humains, meurent. Avec Bella e perduta, Pietro Marcello affirme que le bon goût n’est sûrement pas le « propre de l’homme », offrant à l’antispécisme une ode insolite mais non moins convaincante.