Psychédélique, vénéneux comme la plante donnant son nom au film, brutal et sans concession. Cette œuvre traitant de la condition humaine et particulièrement de celle des femmes, couvre un large champ historique, sociologique et même ésotérique. Tout en passant par la sexualité féminine en forme de force de vie, force de la nature. Curieux mélange qui fonctionne, tout en allant creuser du côté des représentations sociales et religieuses.
Sur le plan religieux d'ailleurs le film est bien documenté car il cite la couleur du diable comme étant ... le vert. C'était effectivement sa couleur originale avant de passer au rouge. Il passe également au crible les raisons qui auraient conduit à l'explosion de la puissance féminine, d'abord sous l'étiquette de la sorcière puis en groupe, devant le cortège durant la prise de la Bastille. Rien que cela. Sans sombrer non plus dans un féminisme de pacotille, car dès le début c'est bien la comtesse qui autorise l'acte déclencheur de la suite des malheurs des deux héros, nouvellement mariés, Jeanne et Jean.
Le choix formel, avec ses couleurs vives, ses dessins parfois statiques, ses personnages très stylisés aux profiles anguleux (sauf Jeanne), permet une grande évocation symbolique. Au fond Jeanne est une sorte d'anti-Christ car elle est d'abord baptisée en tant que sorcière par le diable, puisqu'à l'écran de l'eau s'affiche derrière elle, ce qui ressemble au baptêmes du Christ par Jean, puis le feu la touche (ce qui est nommé l'Esprit dans la bible) sur une croix. On raconte ici l'histoire de la féminité acculée, brisée, qui renait par un principe opposée pour enfin être visible. En allant plus loin dans la réflexion, on peut se demander si cela ne pose pas d'ailleurs un problème, s'il ne faudrait pas plutôt apprendre à respecter l'invisible et donc la féminité au bout du compte. Car en effet la puissance du personnage principal est ici tiré du diable tout de même !
De manière habile est montré ici comment le principe masculin est bafoué (Jean), le principe féminin (Jeanne) abandonné, et au final, forcé à agir.
Accompagnée par les forces des ténèbres mais aussi galvanisé par les forces de la nature qui libère sexuellement les villageois, Jeanne est aussi une figure plus fondamentale, toujours biblique, à l'image d'une Lilith ressortie du Jardin d'Eden, parfois adulée et parfois conspuée pour enfin disparaitre.
Sous l'angle politique, les choses sont évidentes. La cruauté du pouvoir est sans limites et c'est cela qui finit par le perdre. Une animation lors d'un sorte d'hallucination de Jeanne nous en fait la démonstration en passant en revue différentes époques avec des dessins évoquants des faits historiques marquants. Le lien de causalité social traverse l'Histoire semble nous dire l'auteur. Sans oublier le rôle croissant du représentant de l'Eglise constamment aux côtés du seigneur, conseillant sans cesse de punir et châtier.
Enfin sa musique très ancrée dans son époque est superbe et envoutante.
Une œuvre érotique certes, mais surtout une façon de réaliser qui ne trouvera grâce qu'aux yeux d'un public averti, tant les dessins sont dignes des plus grands illustrateurs, tant les allégories pleuvent et les références politiques abondent et un brin de culture est nécessaire pour l'approcher. L'évolution est lente mais l'énergie invisible est toujours présente avant de se manifester. Et sera violente si elle a été chargée de violence auparavant semble nous dire l'auteur.
Une pépite méconnue et justement restaurée.
PS : pour continuer sur les films dont la beauté du personnage principal dérange, regardez ensuite The Neon Demon, vu d'ailleurs juste après …