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Chained et Beloved, de l’Israëlien Yaron Shani sont deux films qui font partie d’une trilogie appelée Love Trilogy, et en sont les deux premiers. Qualifiés de films-miroirs, les deux métrages sont en réalité assez dissemblables, et c’est précisément leur différence qui fait tout l’intérêt de l’ensemble.


Dans Chained, le protagoniste est Rashi (Eram Naim, un acteur semi-professionnel, n’ayant joué que dans les films de Shani), un policier aux méthodes assez musclées, mû par la certitude d’être dans son bon droit. Sa vie est calée dans une routine immuable. On le voit dans une des scènes inaugurales, au secours de deux enfants victimes d’une maltraitance paternelle. Son partenaire est occupé à rassurer les enfants avec beaucoup de douceur, tandis que lui-même se concentre sur le père harceleur, gonflé de colère et au bord d’exploser à tout moment. Dès cette première scène, on comprend que Rashi est un personnage difficilement aimable, qui fonctionne essentiellement dans le rapport de force. Sa femme Avigail (Stav Almagor) a une fille adolescente sur laquelle il exerce une pression disproportionnée, puisque semblant dépourvue d’amour parental, mais surtout guidée par une volonté de faire régner sa propre loi.


Quand il est mis à pied après une interpellation violente de trop, son monde s’écroule. Yaron Shani s’attache à dépeindre un homme, bien qu’assez monolithique, très seul et très malheureux. Rashi considère l’amour de sa femme comme un dû, et sa femme elle-même comme sa chose. Ce qui est mis en exergue par le cinéaste, c’est le questionnement par le protagoniste de sa virilité, de sa masculinité, qui ne passe que par des éléments extérieurs à lui, et certainement guidés par des clichés et des diktats sociétaux : un travail de flic, de pouvoir et d’autorité, une femme aimante voire soumise, une fille obéissante qui ne pourra alors se construire en rien. Lorsque tous ces appuis disparaissent peu à peu, Rashi lui-même est emporté par un tourbillon néfaste. Chained est un film viril comme Rashi lui-même, ancré dans l’action, et même quand le personnage est dans ses moments de vulnérabilité, le film reste toujours très tendu.


Dans Beloved, on est dans un monde totalement différent. Le point de vue est celui d’Avigail. Mais de même que Rashi apparaît souvent seul, Avigail est entourée de ses amies. De fait, ce deuxième volet ne se concentre pas sur Avigail, mais sur plusieurs personnages féminins. Et le parti pris n’est pas anodin. On voit dans cette sororité, cette amitié, tout un tissu relationnel, qui selon le cinéaste est plus naturel chez les femmes. Une scène qu’on retrouve dans les deux films est d’ailleurs frappante à cet égard : dans Chained, Rashi a une attaque en apprenant une mauvaise nouvelle à propos de sa femme. Il était avec deux collègues en train de boire des bières. Même s’ils étaient inquiets, les deux collègues de Rashi restent assez gauches par rapport à la situation. Dans Beloved, c’est une écrivaine qui s’écroule en pleine conférence. La sollicitude de toutes les femmes autour d’elle, leur douceur, sont émouvantes. Des gestes maternants, presque ouatés en totale contradiction avec l’attitude des hommes…


Dans Beloved donc, et contrairement à ce qui se passe dans Chained, Rashi n’est pas le centre de l’univers d’Avigail, bien loin de là. On le verra d’ailleurs très peu dans ce deuxième film. Son monde, c’est sa fille, ses amies, et son travail. Un monde rempli de bienveillance, de douceur, bien que ces femmes vivent des choses dures, à des degrés divers. Avigail n’arrive pas à avoir un autre enfant, Yael (Ori Shani) souffre encore d’avoir été abandonnée petite et a beaucoup de mal avec sa vie. Sa sœur « adoptive » Na’ama (Leah Tonic, impressionnante), pour des raisons pas forcément très claires, est également dans une forte colère et se prostitue, sans doute pour trouver des réponses. Mais toutes ensemble, elles constituent une sorte de mur, de rempart à toutes ces souffrances.


L’atmosphère du film est bien entendu aux antipodes de celle de Chained. Beloved est tourné vers l’intérieur des protagonistes. Avigail y est Avigail, et non la femme de, à peine la mère de, le personnage de sa fille disparaissant assez complètement dans ce deuxième volet. Il est dommage que ce personnage soit aussi taciturne, car finalement, on ne comprend pas toujours tous les sentiments et les ressentiments qui la lient à son mari. Yaron Shani s’appesantit un peu trop sur cette sororité, qui n’est pas sans rappeler d’une certaine manière celle des femmes de La Source des femmes de Radu Mihaileanu. Plus précisément, il s’appesantit un peu trop sur la forme, la relation physique de contact, d’enveloppement qu’elles déploient entre elles, plutôt que sur le fond. Quand le cinéaste choisit d’allier le fond et la forme, comme dans l’incroyable scène de dispute entre Yaël et sa sœur, où les coups pleuvent autant que la parole, il réussit quelque chose de puissant. A cause de ces longues scènes d’embrassades collectives, Beloved est un film qui manque un peu de rythme, de dynamique.


Avec Chained et Beloved, Yaron Shani propose un diptyque intéressant. Un film n’est pas le contraire de l’autre film. Il en est le complément, montrant en creux les forces et faiblesses du monde qu’on est tenté de qualifier d’opposé. Il reste à attendre la sortie de la troisième partie de cette trilogie, qu’on espère être tout aussi prenante.


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Bea_Dls
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le 9 sept. 2020

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Bea Dls

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