La démesure grandiose du vieil Hollywood

En 1880, le général Lew Wallace, héros de la guerre de Sécession et homme d'Etat, écrivit Ben-Hur, a tale of the Christ. Le roman connut un énorme succès dans cette Amérique puritaine et fut adapté au théâtre et à l'écran en 1926 dans une version très honorable qui sera amplement dépassée par celle de William Wyler 33 ans plus tard, en technicolor et panavision, utilisant toutes les ressources de l'écran large grâce à la plus grande focale de l'époque, le 65 mm. Le budget fut colossal (15 millions de $ de 1959). La question est donc la suivante : comment à partir d'une histoire universelle, cette version est-elle devenue aussi mythique ? Plusieurs raisons à cela : avant tout, c'est son côté grandiose, le gigantisme de la production qui fait que le film enfonce tout et ne sera pas dépassé avant longtemps par une autre superproduction du même calibre, la MGM ayant la réputation des films historiques très soignés dans toutes les étapes de la production (costumes, décors, musique, générique luxueux sur fond de fresque de Michel-Ange). Autre raison : la force du sujet et la façon dont il est traité, mêlé à la Passion du Christ.
Il a fallu 10 ans de préparation, 4 mois de répétitions, 14 mois de tournage (dont 3 pour la seule course de chars), 100 000 figurants (dont 25 000 rien que pour remplir la véritable arène construite à Cinecitta et qui sert de décor pour la course de chars). On y trouve aussi une bataille navale époustouflante à cette époque, avec de vraies galères dans un immense lac artificiel, et au final c'est 11 Oscars récoltés, du jamais vu en 1959, record qui ne sera pas égalé avant Titanic en 1997, puis plus tard par le Retour du roi, et à ce jour, ce record n'est pas encore dépassé.
Excellent directeur d'acteurs, William Wyler sut donner non seulement des moments d'anthologie grâce à d'excellents réalisateurs de seconde équipe, mais aussi combler les "creux" si l'on peut dire par des scènes intériorisées très réussies, notamment les épisodes religieux qui ont été traités avec délicatesse. Car au-dela de son étiquette de super-péplum, Ben-Hur n'a rien d'une imagerie ; Wyler a traité avec un véritable sérieux un sujet trop connu pour être modifié, il a donné aux personnages une dimension psychologique et humaine grâce à laquelle ils existent dans leur contexte historico-biblique. Contre toute attente, cette partie intimiste et plus intériorisée ne ralentit pas le rythme du film, qui malgré ses 3h30 ne lasse pas, tout est parfaitement dosé, chaque scène est essentielle. On trouve dans ce tableau correct de la civilisation romaine basée sur l'esclavage et l'oppression (symbolisés par le cruel Messala) un hymne à la liberté et un acte de foi. En effet, l'itinéraire de Judas Ben-Hur croise le Christ dès sa condamnation aux galères (lors d'une scène émouvante au point d'eau) et s'achève après la crucifixion.
La scène qui me procure toujours une émotion très forte est justement celle du point d'eau, presque sans dialogues, tout passe par les regards, celui du centurion qui n'ose pas s'interposer face au Christ filmé de dos, et le tout soutenu par la musique, c'est une scène admirable, d'une grande intensité. Je garde de mon premier visionnage en salles alors que j'étais ado, lors d'une reprise, un souvenir éblouissant, car voir ce film en salles avec l'équipement adapté pour l'écran géant magnifiant le 65 mm, reste gravé à vie.
Toute cette gamme d'émotions et les scènes d'action sont soutenues de façon magistrale par la musique sensationnelle de Miklos Rosza ; le maître hongrois se surpasse et livre probablement sa plus fabuleuse partition, très symphonique, basée sur un déploiement de cuivres redondants et de cordes propres à son style, dont il faut retenir l'ouverture (comme celle d'un opéra), la parade précédant la course de chars (aux fortes trompettes et fanfare), les différentes marches viriles (comme la Marcia Romana), ou encore le lyrisme des choeurs et des violons plaintifs dans les scènes christiques. Sans la musique, il est clair que le film perdrait un atout majeur ; seule la course de chars en est dépourvue, la scène se suffisant à elle-même par son intensité et sa bande-son amplifiée. Cette séquence faisant partie de la mythologie du cinéma, ne dure pourtant que 11 minutes (un peu plus si on compte la parade), elle a nécessité une énorme préparation et fut réalisée par Andrew Marton (grand spécialiste des scènes d'action, on lui doit les scènes de débarquement du Jour le plus long) et par le chef cascadeur Yakima Canutt (dont le fils doubla Heston sur le char). L'impact de cette séquence est cependant énorme puisqu'elle constitue le clou du film ; elle fut tournée dans une véritable arène avec 18 chars munis de freins hydrauliques et des plans saisissants de caméra qui lui ont donné une telle dimension que ce fut un exploit en 1959 par sa perfection technique.
Un dernier mot sur l'interprétation qu'il faut aussi souligner et qui contribue à la réussite du film pour son côté émotionnel, que ce soit le duo antagoniste Charlton Heston et Stephen Boyd, ou le reste du casting avec le savoureux Hugh Griffith en cheik Ilderim, ainsi que Cathy O'Donnell, Jack Hawkins, Martha Scott... Voici donc du grand spectacle à l'état pur, un film inoubliable, une oeuvre grandiose, un immense classique que les années n'altèrent pas et qu'il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie de cinéphile.

Ugly
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le 25 août 2016

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