Dans un film âpre sur l’enfance et la réinsertion de cette dernière dans le monde adulte, Nora Fingscheidt dresse le portrait beau et douloureux d’une jeune enfant en colère.
L’enfance est depuis toujours disséquée par le biais du cinéma : des 400 coups de François Truffaut jusqu’à Morse de Tomas Alfredson, cette période de la vie est une rampe de lancement pouvant nous immerger dans des récits initiatiques où le monde des enfants se télescope parfois durement avec le monde adulte. Ce télescopage, entre violence et incompréhension, est l’épicentre du film de Nora Fingscheidt. Pourtant, Benni n’est pas qu’un simple récit d’apprentissage mais se veut aussi et surtout la description d’un système institutionnel par palier qui demeure parfois vite impuissant dans l’optique de réussir sa mission : sauver des enfances difficiles.
C’est le récit d’une jeune enfant de 9 ans qui va de foyer en foyer et qui malgré les thérapies, n’arrive pas à canaliser sa colère et sa soif d’amour. Benni, couverte de bleus mais au regard d’un ange, est une « guerrière » qui frappe, insulte, méprise et crache sur tout ce qui l’embête. Mais dès le départ, au lieu d’en faire un démon et un versant du mal absolu comme peuvent le faire certains films d’horreur, la cinéaste arrive à placer le curseur de l’empathie, et nous montre que Benni, est comme beaucoup d’entre eux, c’est à dire une victime collatérale d’un système qui n’est malheureusement pas étanche.
Entre des parents aux abois et dont l’immaturité autant humaine que sociale désarçonne, des foyers frileux de devoir se frotter à des enfants turbulents que tout le monde rejette, des services sociaux qui croulent sous les demandes, des auxiliaires de vie qui n’arrivent plus à prendre du recul et qui prennent en pleine figure la dureté du quotidien de ces gamins, Benni n’élude aucun sujet d’une réalité qui n’a jamais été aussi tangible et ne ferme les yeux devant aucun traumatisme, sans voyeurisme aucun. Mais lorsque la jeune Benni accompagne son auxiliaire de vie Michael pour un séjour de 3 semaines dans la forêt, pour une cure d’air frais, on aurait pu craindre l’effet « Pascal le grand frère » et les grandes leçons de vie du père de substitution pour que tout revienne à la normale.
Miraculeusement le film ne tombe pas dans le piège de la catharsis éhontée mais au contraire profite du calme ambiant et de cette nature boueuse et verdoyante pour faire coller sa caméra à ce décorum organique. Là où la ville faisait retentir le chaos des cris, la violence du rejet familial et les pulsions de bagarre, la foret permet au long métrage de souffler et de s’accorder quelques moments de suspensions, une apesanteur presque sensorielle à voir cette enfant se confronter au vide qui l’accompagne : le spectateur comme elle, ressentent mutuellement tout le désarroi qui sort des pores de son esprit. Ce vide étant accompagné de deux versants : celui du traumatisme et celui du manque d’affectation. Ayant vécu un étouffement lorsqu’elle était plus jeune, il est impossible de toucher le visage de Benni sans qu’elle vrille et devienne une furie que personne n’arrête. Mais au delà cet événement, Benni n’a qu’un souhait : revivre avec sa mère.
Ce rejet et ce manque d’affectation sont aussi une source de colère et de tristesse. A force d’accumuler les séquences de crise et les colères incessantes, à force de voir le récit jouer la carte de la confrontation permanente entre Benni et le monde extérieur, autant adulte qu’enfantin, le film de Nora Fingscheidt aura pu accoucher d’une souris et être en perpétuel trop plein. Pourtant grâce à la vélocité de la caméra, à la bienveillance du regard de la réalisatrice, au casting touchant par son incarnation abrasive, et grâce à la pertinence de son propos, Benni arrive à contourner les pièges et construire une oeuvre qui est à la fois à hauteur d’enfant mais aussi à hauteur d’hommes : en arrivant à nous émouvoir et nous déchirer le coeur en voyant les cris de rage d’une gamine être rejetée une énième fois par sa mère et voir les adultes qui l’accompagnent dévastés par le destin qui s’acharne. Difficile de ne pas finir le film avec le coeur en lambeaux devant le dernier regard lointain entre Benni et Michael, tels deux animaux indomptables en fuite, puis cette dernière séquence qui n’est pas sans rappeler Mommy de Xavier Dolan.
Article original sur LeMagducine