Quand Alain Chabat s'empare d'Astérix, il y insuffle son humour décapant et des moyens considérables. Quand le grand Steven Spielberg s'occupe de Tintin, il conserve le design original tout en dynamisant le tout avec une mise en scène inégalable. Ça s'appelle adapter. Quand le producteur des Dents de la nuit s'accapare le projet "Benoît Brisefer" au nez des Américains et le confie au réalisateur de La Blonde aux seins nus, ça donne un film qui a tout bonnement quarante ans de retard.
Ultra-fidèle à la case près au matériau d'origine confectionné en 1960 par Peyo, bariolé de tout son plein et proposé avec une naïveté désarmante, Les Taxis Rouges manque autant d'ambition que de savoir-faire. Car on peut allègrement mettre en images un décor des sixties françaises sans pour autant que cela sonne toc. On peut facilement adapter cette histoire un brin vieillotte avec des références bien pensées, des dialogues ciselés et une direction d'acteurs contenue. On peut même — soyons fous — s'entourer d'une équipe technique compétente pour éclairer correctement des plans nocturnes et mettre en images des scènes d'action efficaces capables de plaire aux petits comme aux grands.
Sauf que Manuel Pradal pond ici un film daté, ringard, sans une once d'imagination ni de talent, se contentant de décalquer les cases dessinées par l'auteur bruxellois avec des CGI cheap et une mise en scène télévisuelle. Pour le reste, outre un sens du découpage inexistant, des plans cadrés n'importe comment et des dialogues au ras des pâquerettes (écrits par cinq scénaristes, on croit rêver), c'est surtout face à une interprétation exécrable que nous avons affaire : que Gérard Jugnot et Thierry Lhermitte cabotinent gaiement pour un film familial, on a l'habitude ; que ce pauvre Jean Reno cachetonne pour incarner un méchant caricatural face à un gamin dont c'est le premier rôle incapable de demeurer charismatique et d'aligner deux mots sans bafouiller, c'est autre chose.
Perdu entre une volonté de satisfaire les rares fans de la BD tout en prenant avec des gants un jeune public que l'on s'imagine demeuré (familial ne veut pas dire niais), Benoît Brisefer : Les Taxis Rouges est un ratage en bonne et due forme, un produit désuet jamais attrayant, jamais fun, ennuyeux même, énième preuve qu'adapter une BD en France n'est décidément pas donné à tout le monde. Et dire que Jean Reno balance à un moment donné : « Il faut vivre avec son temps. » La meilleure blague du film, dommage qu'elle ne soit pas méta.