Mythologies
Un excellent documentaire, qui prend au sérieux le teen movie comme corpus mythologique. L'approche est pertinente tant une unité se dégage des 200 films compilés. Unité esthétique mais aussi et...
le 2 mai 2015
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Les college movies : nous en avons tous déjà vus sans savoir forcément qu’il s’agissait d’un genre cinématographique en soi. Sorte de sous-catégorie du teen movie, on peut en retrouver des éléments dans des genres aussi différents que la romance, les drame, les film d’épouvante ou la comédie. Là où la plupart des spectateurs consomment ce type de films – de facture très moyenne pour la plupart – comme un simple divertissement, en quête simplement de suspense, de rigolade ou d’un peu d’exhibitionnisme sexy, la documentariste Charlie Lyne a préféré en faire une lecture sociologique. Le résultat est très convaincant : les parallèles tirés entre les divers films (on devine qu’elle a visionné des dizaines d’heures de longs métrages issus de cette cinématographie, ce qui ne doit pas être une sinécure) tombent juste, le travail de montage est efficace et les interprétations données sont plutôt probantes. L’approche utilisée n’est pas sans rappeler celle des commentateurs littéraires à l’époque de la grande mode des analyses d’œuvres classiques sous l’angle de la psychanalyse.
Le choix formel retenu, celui d’une narration continue en voix off racontant brièvement les intrigues de films réunis selon des perspectives préalablement définies (l’intégration au groupe, l’affirmation individuelle, l’ambivalence face au sexe, etc.), donne au documentaire une bonne lisibilité. Cette façon synthétique de résumer en quelques mots et quelques images des scénarii d’une heure et demie permet de voir, parfois plus qu’en visionnant les films eux-mêmes, en quoi ces college movies tiennent de la fable, du conte, du récit initiatique. Il y est en effet question, comme dans les mythes les plus anciens, des thèmes éternels que sont l’entrée dans la vie adulte, la découverte de l’amour ou des pulsions charnelles, l’apprentissage de la vie en société, le rapport de dépendance-émancipation à la famille, la construction de l’identité individuelle, et autres invariables adaptés à la sauce US. Les situations reviennent d’un film à l’autre comme autant de lieux communs : les repas à la cantine, les déambulations dans des corridors tapissés de casiers, les disputes dans les vestiaires de sport, les beuveries orgiaques des sociétés étudiantes dans des villas bondées, etc.
Un apparent paradoxe, et non des moindres, apparaît rapidement dans ce travail de relecture : le pays de l’exaltation des libertés et de l’individualisme abrite, dans ses lycées, le terreau sociologique du conformisme le plus outré, d’un l’enrégimentement forcené d’autant plus insidieux qu’il ne se fait pas en s’alignant sur des directives autoritaires explicitement formulées mais sur des mots d’ordre implicites, selon des règles invisibles mais respectées par tous. Cet enfermement identitaire est certes le propre de l’adolescence mais, si l’on en croit ces films, il est poussé à son paroxysme dans la société américaine. La documentariste explore les rapports de pouvoir entre lycéens, conditionnés par une hiérarchisation, laquelle est déterminée par la conformité aux valeurs dominantes – dont la première sans doute est la capacité pour l’individu d’acquérir une popularité la plus large possible parmi ses semblables. Tout cela sur fond de défiances, de prédations et de discriminations communautaristes, pour ne pas dire tribalistes (les sportifs “intégrés”, les nerds “asociaux”, les pom pom girls, les intellos, les skateurs “rebelles”, les fumeurs de chanvre…), qui feraient sans doute sourire un Michel Maffesoli, qui s’est spécialisé dans l’étude de ces phénomènes dans nos sociétés contemporaines. Par ailleurs, ce genre illustre mieux qu’aucun autre un aspect schizophrénique typique de la culture états-unienne : l’illustration plus ou moins édifiante d’un corpus de valeurs protestantes parfois très puritaines au moyen de situations et de représentations visuelles hyper-sexuées et complètement en phase avec le libéralisme des mœurs tel qu’il est véhiculé par les médias commerciaux de masse.
Il est dommage, par contre, que d’autres aspects du genre, pourtant fondamentaux, aient été laissés de côté dans ce décryptage : je pense en particulier à la question sociale, qui est le grand non-dit de cette cinématographie. La division du monde adolescent n’est analysée qu’en terme de “communautés” (définies généralement selon des critères contre-culturels, donc assez superficiels) et jamais selon des critères de classe. Peut-être tout simplement parce que ces récits sont cantonnés au milieu bourgeois (surtout si le film se déroule dans le cadre de l’université, établissement élitiste par excellence – bien plus qu’il ne l’est en Europe) et que l’autre, l’Américain populaire, absent du microcosme étudiant, ne fait donc pas débat. On n’en apprendra donc pas davantage sur la question du rapport entre les classes sociales dans les college movies, pas plus qu’on ne saura – autre question cruciale – pourquoi les adolescents de dix-sept ans sont, dans ce type de films, presque systématiquement joués par des acteurs trentenaires…
Créée
le 14 juil. 2015
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