Revoir Gattaca vingt ans après sa sortie en salle procure une étrange sensation. Voici un curieux film dit de science-fiction qui, il y a deux décennies - une éternité en termes de technologie, d'informatique, de domotique - proposait d'imaginer notre monde "dans un futur pas si lointain". Et Andrew Niccol d'effectuer des choix audacieux qui vont permettre au film de conserver toute sa force encore aujourd'hui.
D'abord avec ce scénario qui évite le manichéisme en se passant notamment de ce personnage incontournable du cinéma contemporain qu'est le méchant. Pas de savant mal embouché ici, ni même de politicien machiavélique. Le mal ne s'incarne pas à Gattaca en un individu déplaisant mais en un état eugéniste qui met un point d'orgue à sélectionner, trier, classer les citoyens sous la surveillance des hoovers, ces flics en costume vintage tout prêts à traquer et dénoncer le moindre poil de travers et ainsi nommés par Niccol en référence au célèbre et paranoïaque directeur du FBI.
Cette option va laisser toute latitude au réalisateur de s'intéresser aux relations triangulaires des trois figures principales du film, Vincent Freeman, vilain petit canard mais homme libre, voué aux gémonies (aux gènes honnis) par une société qui ne jure que par l'impeccabilité des profils génétiques, Irène Cassini, une âme complexe dans un corps complexé et le très subtil Jérôme Eugène ("bien-né") Morrow qui privé de ses deux jambes n'en restera pas moins doté d'une intelligence hors pair et d'une volonté chevillée à deux bras non raccourcis.
Ensuite par des choix esthétiques qui piochent du côté des années 50 : ici des décors rappelant l'architecture lecorbusienne, des escaliers en colimaçon (à l'image de brins d'ADN), là des costumes/coiffures évoquant les personnages des films noirs de cette période ou encore la DS cabriolet de la déesse Uma Thurman qui n'aurait pas juré dans un film de Lautner. L'aspect vintage des décors s'accompagne d'une palette de couleurs exceptionnelle avec ces jaunes sépia pour les ambiances extérieures qui ne sont pas sont rappeler le très récent Blade Runner 2049 de Villeneuve et ces verts- verts bouteille vintage, verts fluo inquiétants, à l'image d'une science devenue prescriptrice.
Mais le film d'Andrew Niccol tire aussi tout son intérêt de l'ironie et des subtilités qui se glissent ici et là dans le regard que porte le réalisateur sur ce monde devenu fou. Par exemple dans le mano a mano que se livrent un Jérôme valide (génétiquement) mais invalide (physiquement) et un Vincent dégénéré du côté de l'ADN mais régénéré par la perspective de filer sur Titan ou encore dans le jeu du chat et de la souris entre les deux amants qui vont longtemps considérer l'autre comme parfaitement inaccessible alors que c'est précisément leur imperfection qui les rend si désirables et proches.
Un beau film d'amour, un beau film sur l'amitié et le courage.
Personnages / interprétation : 9/10
Histoire/scénario : 7/10
Réalisation/mise en scène : 8/10
8/10