Le film décrit un monde dans lequel la génétique est devenue le facteur fondamental qui permet de classer les hommes entre « valides » et « non-valides » et où ces derniers sont cantonnés au rang de subalternes.
Andrew Niccol décrypte une structure sociale dans laquelle l’arbitraire de la condition de naissance prédétermine l’avenir, en s’inquiétant des ravages susceptibles que le progrès peut occasionner, et a fortiori en ce qui concerne les défis éthiques posés par la manipulation génétique.
La thèse principale du réalisateur est la dérive susceptible de nos sociétés contemporaines, ladite dérive est d’ailleurs illustrée par le biais d’une dystopie, ou en d’autres termes, une utopie qui aurait mal tourné. Le postulat dégagé par le film consiste dès lors à imaginer le développement d’une société qui s’émancipe sans limite en embrassant toutes les possibilités offertes par la science.
Plusieurs éléments du film appuient cette thèse. Tout d’abord, les premières images du film démontrent un futur proche mais qui n’est pas précisément daté, ce qui est une caractéristique du sous-genre de l’anticipation, ce dernier ayant comme leitmotiv de décrire un monde tel qu’il pourrait être demain (problématique imminente).
Ceci est confirmé par le fait que le réalisateur use d’une extrapolation légère par rapport au genre de science- fiction traditionnel. Des scientifiques ont d’ailleurs jugé que « Bienvenue à Gattaca » pouvait se targuer d’être le film de science-fiction le plus plausible.
Ensuite, le cœur de la réflexion est clairement identifié, à savoir l’eugénisme et ce par le biais de plusieurs détails, notamment l’escalier de l’appartement des protagonistes principaux qui évoque les hélices de molécules d’ADN, les lettres composant le titre de l’œuvre forment les bases de l’ADN, ou encore le prénom « Eugène ».
En outre, il est assez éloquent de voir que des personnages afro-américains occupent des positions où le vecteur de la discrimination est le plus flagrant : le médecin qui est en charge de la conception d’Anton (le frère de Vincent) ou encore le personnage en charge des entretiens professionnels où le seul profil génétique fait office de C.V. ; ladite discrimination est également présente dans une multitude de domaines tels que dans la politique des compagnies d'assurances ou encore dans le milieu scolaire.
Le rapport entre nature et culture est mis en exergue dès le début du film par le biais de deux citations mises en épigraphe. « Regarde l’œuvre de Dieu, qui pourra redresser ce qu’il a courbé ? » Dans la foulée apparaît la réponse du professeur de médecine Williard Gaylin : « Je ne pense pas seulement que nous modifierons Dame nature, mais que c’est ce qu’elle veut .De surcroît, il est établi un rapport entre le donné biologique/ profil génétique (nature) et le « genre » valide ou non valides (construction culturelle). Ledit rapport se trouve toutefois complexifié suite à la modification de ce profil génétique.
La problématique de l’eugénisme pose notamment question à deux niveaux. En amont, où un tel phénomène ne peut se concrétiser que via des recherches poussées dans le cadre desquelles une tension existe entre le respect de la vie potentielle et la promotion de la recherche biomédicale. La convention d’Oviedo de 1997( même date que le film) via notamment ses articles 13 et 18 , les recommandations de L’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, l’Union européenne, et le Comité international de bioéthique tendent à parvenir à un équilibre.
En aval, il s’avère qu’un tel recours à l’eugénisme peut entraîner des conséquences néfastes, notamment sur des inégalités afférentes au profil génétique, à l’image de la classification binaire entre « valides et non valides » présente dans le film.
Vincent y est présenté comme la personnification du droit à l’autodétermination (sa figure particulière remet en cause la catégorisation binaire)
A contrario, Eugène et Anton représentent le mal-être dans une société où le perfectionnisme est de vigueur.
Je suis en phase avec Andrew Niccol dans sa remise en cause ( implicite) de l’approche culturaliste en amont (où la science outrepasse les limites thérapeutiques) et je suis d’accord avec sa dénonciation (implicite) de l’approche naturaliste en aval où les règles sociétales sont tributaires du seul profil génétique ; la réalité sociale doit en effet primer sur la réalité biologique ; Vincent en est le parfait exemple !